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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/906

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REVUE DES DEUX MONDES.

Fernando. — Je naquis dans cette ville, de parens nobles qui me laissèrent peu de fortune. L’éducation qu’ils me donnèrent ne fut pas une éducation de prince : toutefois, voulant que j’acquisse des talens et que je cultivasse les lettres, ils m’envoyèrent à l’université d’Alcala, à l’âge de dix ans. </poem>

Tout à l’heure, Lope de Vega attribuait un de ses poèmes au personnage de Fernando ; ici il va plus loin, il lui attribue des traits de sa propre vie. En effet, Lope, ayant à parler de sa naissance et de ses premières années, aurait pu dire, sans y changer un mot, tout ce qu’il fait dire ici par Fernando : il était né à Madrid ; ses parens étaient nobles et pauvres ; son éducation avait été distinguée; il avait été envoyé fort jeune à l’université d’Alcala. Si la date de la naissance de Fernando n’est point marquée expressément dans ce passage, elle est indiquée implicitement par l’âge du jeune homme, au moment où est censée se passer l’action de la Dorothée. Il est dit, non pas une, mais plusieurs fois, qu’il avait alors vingt-deux ans : or, vingt-deux ans, à remonter de l’année 1584, mènent juste à l’an 1556, celui de la naissance de Lope de Vega.

On trouve des coïncidences plus remarquables encore dans le passage où Fernando parle de ses études. La précocité, l’éclat et la diversité des études de Lope de Vega firent généralement crier au prodige. On exagère d’autant plus volontiers les prodiges de cette espèce, qu’on a plus de peine à les préciser. Il y a, dans ce que nous disent à ce sujet certains biographes de Lope, des choses qui, fussent-elles mieux attestées, ne laisseraient pas d’être peu croyables. Suivant ces biographes, Lope aurait su lire avant d’être en état d’articuler les mots de ses lectures ; il aurait employé le geste avant d’user de la voix ; il aurait entendu le latin à cinq ans, et que sais-je encore de non moins merveilleux ? Ce que Lope dit de lui par la bouche de Fernando est un peu moins vague et un peu plus vraisemblable ; voici comment il s’exprime :

« À l’âge que je viens de dire (dix ans), je savais déjà la grammaire, et je n’ignorais pas la rhétorique. Je montrai un talent plus qu’ordinaire, de la vivacité et de l’ardeur pour toutes les sciences ; mais mon aptitude la plus marquée était pour les vers, tellement que les cahiers de mes leçons me servaient pour les brouillons de mes idées (poétiques), et maintes fois je les remplissais de vers latins ou castillans. Je commençai bientôt à rassembler des livres en diverses langues ; déjà imbu des principes du grec et très versé dans le latin, j’appris bien le toscan et passablement le français. »

Encore une fois, tout cela est moins merveilleux que les assertions des biographes ; mais c’est encore assez merveilleux pour ne convenir qu’au seul Lope de Vega. Qu’a donc voulu faire celui-ci en s’identifiant, par tous ces détails biographiques, avec un personnage de ses drames ? Il n’y a pas de milieu : ou il a parlé sérieusement de lui sous le nom de ce personnage, ou il a émis au hasard et sans dessein des choses qui devaient naturellement