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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/925

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LES AMOURS DE LOPE DE VEGA.

duc d’Albe, avec lequel il s’établit à Alava. De là, soit pour les affaires du duc, soit pour les siennes propres, il faisait de fréquens voyages à Madrid ; ce fut dans l’un de ces voyages qu’il connut Isabella d’Urbina, fille de don Diego d’Urbina, gentilhomme de la cour de Philippe II. Promptement épris d’elle, il lui fit la cour, la célébra dans ses vers et l’épousa. À peine marié, et heureux par son mariage avec Isabella d’Urbina, Lope de Vega, comme Fernando, fut poursuivi par la justice et jeté en prison, d’où il ne sortit qu’en vertu d’un jugement qui le condamnait à l’exil. Il y a, dans les circonstances et dans les causes de cet emprisonnement et de l’exil qui le suivit, une certaine obscurité dont les biographes de Lope ont à peine tenu compte et qu’ils n’ont jamais éclaircie. C’est une sorte d’énigme qu’il est probablement impossible de deviner aujourd’hui, et ma tâche n’exige pas que je l’essaie. Il me suffit de rappeler le fait dans sa généralité ; il n’y en a pas, dans la vie de Lope de Vega, de plus important ni de mieux constaté.

Par une autre réticence, qui tient, selon toute apparence, à la première, aucun des biographes de Lope n’a, que je sache, nommé les auteurs de sa persécution et de son exil. Dans l’appendice prophétique du drame, Dorothée et sa mère sont expressément désignées comme les ennemies et les persécutrices de Lope, et comme l’ayant dénoncé à la justice par des motifs de vengeance personnelle. Lope devait en savoir là-dessus plus que personne, et ce que d’autres purent dissimuler par scrupule et par ménagement pour lui, il n’hésita pas à le déclarer plus d’une fois et sous plus d’une forme, comme nous le verrons tout à l’heure.

Il est prédit, dans le drame, que la jeune épouse à laquelle Lope devait être arraché par les persécutions de la justice sera pour lui la consolatrice la plus tendre, l’accompagnera courageusement dans son exil, et y mourra dans la septième année de son mariage. Ces assertions que Lope ne fait ici qu’énoncer sommairement et sèchement, il les a développées et justifiées dans plusieurs de ses poésies diverses, et spécialement dans une assez longue pièce sur la mort d’Isabella d’Urbina, adressée à don Antonio de Toledo, duc d’Albe. C’est une églogue dans laquelle Lope, sous son nom pastoral de Belardo, et son ami Pedro de Medinilla (sous celui de Lisardo), déplorent à l’envi la mort de doña Isabella sous le nom d’Élisa. Ce n’est pas l’une des pièces de Lope où l’on remarque de nombreuses ni de grandes beautés poétiques ; mais on y trouve un témoignage touchant de la tendresse de Lope pour Isabella, et quelques détails sur la vie de cette tendre femme, qui confirment, en les éclaircissant un peu, les paroles de la prédiction. Il y est dit qu’elle s’opposa à la mauvaise fortune de son époux, comme un roc aux fureurs de la mer. On y voit qu’elle habita quelque temps avec lui sur les bords du Tage, peut-être à Tolède, mais principalement sur les rives du Tormès, à Alava ou dans le voisinage. Enfin, il s’y trouve un passage duquel on pourrait conclure que Lope était éloigné d’Isabella lorsqu’elle fut atteinte du mal dont elle mourut, et qu’en la rejoignant il la trouva déjà morte ou mourante. L’époque