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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/946

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REVUE DES DEUX MONDES.

L’aspect intérieur du logis de l’Esterel rappela tout-à-fait à misé Brun l’auberge du Cheval rouge. La grande chambre du rez-de-chaussée avait la même destination, et offrait le même coup d’œil que la salle enfumée où elle avait passé la soirée près de M. de Gallières, tandis que les cavaliers de la maréchaussée étaient attablés autour d’un broc de vin cuit, et que le marquis de Nieuselle soupait seul dans sa chambre. Elle s’assit pensive au coin de la table, et l’orfèvre, tandis qu’on lui servait à déjeuner, se mit à questionner la servante.

— Est-ce que beaucoup de voyageurs s’arrêtent ici ? lui demanda-t-il.

— C’est selon le temps, lui répondit-elle d’un ton bref et farouche.

— Aujourd’hui vous n’avez personne, ce me semble ?

— Plus tard il peut nous venir du monde.

— Comment ! sur le soir ?

— Oui, pour la couchée.

— Dieu du ciel ! il y a des gens qui osent dormir au milieu du bois de l’Esterel ? s’écria l’orfèvre.

— Pourquoi pas ? répliqua la maritorne provençale ; ma maîtresse et moi, nous y dormons bien toutes les nuits de notre vie.

— Ta maîtresse et toi, dis-tu ? Vous êtes donc toutes deux seules ici ?

— Tout-à-fait seules.

— Dieu du ciel ! Et vous n’avez pas peur ?

— Non, répondit laconiquement la servante en lui tournant le dos. Un moment après, l’hôtesse entra. C’était une vieille femme sèche et robuste, à l’air peu prévenant, au parler rude ; elle essaya pourtant de prendre un visage agréable et d’adoucir le son de sa voix pour aborder les nouveaux venus, et se mit à les servir avec empressement.

Siffroi ne reparaissait pas cependant, et, au bout de vingt minutes, l’orfèvre, impatient de repartir, sortit pour le chercher. Le drôle était tranquillement assis dehors, sur le brancard de la carriole, tandis que Biscuit mangeait sa ration dans l’écurie.

— Tu as dételé ! s’écria l’orfèvre avec un mouvement de surprise et d’inquiétude ; ce n’était pas la peine. Allons, il faut partir.

— Dans un moment, s’il vous plaît, répondit flegmatiquement Siffroi ; je viens de m’apercevoir d’un accident.

— Un accident qui nous arrête ici ? interrompit Bruno Brun avec une impatience mêlée d’effroi.

— Pour une demi-heure encore, pas davantage ; mon cheval a laissé deux fers en chemin. Pauvre bête ! C’est, sauf votre respect,