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— On m’a chargé de vous remettre ceci. Sainte Vierge ! quelle nuit terrible nous avons passée ! Je savais bien ce qui arriverait… Vous pouvez aller tranquille à présent.

— Ma femme, en route ! cria l’orfèvre.

Misé Brun n’eut que le temps de serrer la main de la petite servante et de lui dire :

— Que le ciel te récompense du service que tu m’as rendu hier soir !… Mon enfant, quitte au plus tôt cette maison… Crains Dieu, et ne sers que d’honnêtes gens !

Un léger vent d’ouest avait balayé les nuages ; la matinée était fraîche et sereine ; déjà le soleil levant dardait ses clartés vermeilles sur la façade du logis de l’Esterel. Misé Brun avait repris sa place dans l’humble équipage qui allait l’emmener. Au moment de partir, elle tourna une dernière fois les yeux vers ces lieux d’où elle emportait des souvenirs qui devaient préoccuper et remplir le reste de sa vie. Alors, son regard plongeant à travers une des fenêtres grillées de l’étage inférieur, elle entrevit dans la pénombre d’un rayon de soleil qui traversait obliquement la salle obscure, comme une forme humaine étendue la face contre terre. La jeune femme frémit sans être sûre cependant qu’elle venait d’apercevoir un cadavre ; puis, se souvenant de ce qu’avait dit la petite servante, elle pensa que c’était Siffroi qui peut-être dormait couché sur le sol, près de l’endroit où M. de Galtières avait enfermé le marquis. Cet incident cessa bientôt de la préoccuper, et elle demeura plongée dans la morne agitation de ses souvenirs et de ses réflexions. Elle tenait toujours dans sa main le paquet que lui avait remis la petite servante ; parfois effrayée de posséder cette preuve, ce gage d’amour que lui avait laissé M. de Galtière, elle s’imaginait que Bruno Brun allait surprendre son secret, et elle cachait sa main en frissonnant ; mais l’orfèvre était bien loin de soupçonner le trouble, les angoisses de sa femme, et, joyeux d’avancer rapidement vers le but de son voyage, il disait de temps en temps à son nouveau conducteur, qui poussait le cheval au grand trot sur les pentes de la montagne :

— Nous allons un train de poste ! Voilà comment on doit voyager ! Tu auras un bon pour-boire, mon garçon.

Au bas de la dernière descente, après avoir franchi entièrement le passage de l’Esterel, il fallut pourtant s’arrêter un moment. Il y avait en cet endroit quelques maisons et un poste de la maréchaussée. Tandis que Bruno Brun exhibait ses papiers, la jeune femme s’assit à l’écart sous un bouquet de châtaigniers qui ombrageait le chemin,