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DE LA LITTÉRATURE MUSULMANE DE L’INDE.

rans sont tous un peu portés à demander aux astres le secret de leur destinée. En général, ces écrivains de haut parage prenaient pour rimer un surnom poétique (takhallous), tout comme le plus humble des poètes ; ils n’avaient pas plus de honte de cacher leurs titres souverains sous cette devise littéraire que n’en éprouvaient nos princes dans les temps chevaleresques à entrer dans la lice des tournois sous des couleurs de fantaisie qui les couvraient du voile de l’incognito.

À l’autre extrémité de l’échelle sociale, comme pendant à ces nababs qui cherchaient pour la plupart dans la culture des lettres un aliment à la vanité ou un remède contre les ennuis et le chagrin, nous trouverions, en parcourant la foule, des poètes pauvres qui chantaient d’inspiration au milieu de rudes travaux, comme jaillit la source à travers les cailloux. Les consciencieux biographes n’ont pas dédaigné de placer leurs noms à côté, quelquefois même au-dessus de ceux des empereurs ; aux époques et dans les pays où l’imprimerie n’existe pas, il y a certainement quelque gloire à survivre à son siècle, non sous la forme d’un in-8o de commande, mais dans le souvenir des peuples d’un autre âge. Ainsi le porteur d’eau Macsoud, tout en versant aux vendeurs du bazar de Delhi les flots limpides de son outre remplie à la Jamouna, leur débitait ses stances à flots aussi ; il devint le poète favori des habitués de la place publique ; ses chants, qu’apprit par cœur une foule amusée et fière peut-être d’avoir, comme les rois, son improvisateur toujours en verve, sont répétés encore de nos jours dans les foires et aux fêtes joyeuses du Hôli. Il y a cinquante ans, vivait à Delhi encore, dans cette ville de gais rimeurs et de rêveurs contemplatifs, le barbier Inâyat Ullah, qui, sans être homme d’imagination et de vrai talent comme le coiffeur d’Agen, le poète Jasmin, se fit remarquer par la vivacité de ses pensées et la facilité de sa versification. Épris de la dignité de sa profession autant que ses confrères d’Andalousie, il disait : « Mieux vaut être barbier, comme moi, que d’être cette jeune bayadère dont tout le mérite consiste dans la fraîcheur des joues, fraîcheur, hélas ! que le temps flétrit si vite ! » Mais à force de raser un sofi célèbre de son temps et de teindre deux fois par semaine la barbe de ce saint personnage, qui ne semblait pas avoir renoncé aux vanités du siècle, Inâyat, de barbier, devint philosophe et se voua à la vie contemplative. Le repriseur de châles Arif, Kachemirien de naissance, composait alternativement en persan et en hindoustani de jolis vers qu’il récitait dans sa boutique, et dont ses amis ont gardé la copie. Enfin, dans les rangs de l’armée, nous trouvons un jeune soldat dont