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DE LA LITTÉRATURE MUSULMANE DE L’INDE.

La fée de l’Orient, la péri a souvent aussi inspiré les écrivains musulmans de l’Inde, ils l’ont adoptée avec les djins et les dives ; c’est elle qui bâtit dans les airs les palais étincelans que voient dans leurs extases le buveur d’opium et le fumeur de hatchitch. Elle est le principal personnage d’une foule de petits romans en vers, vrais drames féeriques où les changemens à vue transportent le lecteur de la terre aux cieux, d’un jardin enchanté à un palais illuminé d’émeraudes. Ces contes sont de la famille des Mille et une Nuits arabes ; ils tiennent aussi par quelques côtés aux nouvelles fantastiques chinoises, aux légendes racontées par les Persans dans le caravanserail, aux contes de Perrault, à ceux que l’on répète en Occident autour du foyer. C’est dans le domaine de l’imagination que tous les peuples se retrouvent. Ceylan (Sarandip), limite extrême du monde connu et fréquenté par les anciens navigateurs de la mer Rouge et du golfe Persique, cette île, entourée de bas-fonds à sa pointe, hérissée de montagnes aiguës, peuplée de grands singes et habitée jadis par des sauvages cachés dans les forêts, a été souvent choisie par les écrivains hindoustani comme par leurs ancêtres, comme aussi par les conteurs arabes, pour le théâtre des merveilleuses aventures d’un héros imaginaire. Combien de mauvais génies et de péris bienfaisantes hantaient ces pics aériens, guettaient le voyageur dans les cavernes, sous les bois pleins d’ombre, ou les enlevaient dans les beaux nuages diaphanes suspendus comme un dais sur les hautes arêtes de l’île ! Plutôt que d’analyser une de ces compositions insaisissables qui s’évanouissent comme la bulle de savon sous la main qui la touche, nous emprunterons à Mir-Goulami-Haçan quelques lignes de son histoire du prince Bénazir ; c’est une danse de bayadères qu’on peut donner pour échantillon du style descriptif.

« …… Ainsi l’allégresse se répand de tous côtés, et les bayadères commencent leur danse. Deux jeunes filles brillent dans l’assemblée ; des anneaux sonores retentissent à la cheville de leurs pieds. Elles se baissent et se relèvent avec grace, elles se montrent les deux mains croisées sur le sein. Une boucle étincelle à leurs oreilles, l’anneau du nez s’agite à chaque pose nouvelle ; tantôt le cœur est subjugué par leurs pieds en mouvement, tantôt c’est par le regard qu’elles captivent. Tour à tour elles laissent voir leur riante beauté, et cachent sous le voile le vêtement qui presse leur taille. L’une porte au visage l’ornement de la boucle suspendue aux narines, au poignet de l’autre resplendit le bracelet de neuf perles ; celle-ci a noirci ses dents avec la poudre du missy, celle-là semble plus fraîche