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LIVERPOOL.

des vaisseaux qui entrent et de ceux qui sortent, la scène change à chaque instant. Au premier plan, l’on aperçoit, les docks, longue ligne de bassins bordés de granit et parallèles au fleuve. Là se pressent, chacun à son rang, les navires de long cours, les bateaux à vapeur et les bâtimens du cabotage. Leurs mâts innombrables, chargés de voiles et de cordages, forment une sorte de rideau derrière lequel s’agite en bon ordre l’essaim des spéculateurs et des ouvriers.

En face des docks s’élèvent de vastes maison à six ou sept étages qui occupent les quais et les rues adjacentes ; c’est là que sont déposées les marchandises, au sortir des vaisseaux. Un peu plus haut, on rencontre la bourse et la douane, lieux de réunion et de contrôle, auxquels aboutissent les principales artères de la cité, et où, pendant quelques heures de la journée, on brasse les affaires par millions. Vers le milieu de la ville, et devant le splendide portique du chemin de fer, se dressent deux moulins à vent qui semblent être restés là pour marquer les anciennes limites de Liverpool. Le chemin de fer descend jusqu’à Lime-Street par un tunnell qui porte les voyageurs au centre des quartiers du luxe et des affaires ; un autre tunnell, qui traverse toute la ville, conduit les marchandises jusqu’au dock du Roi (King’s-Dock). Au nord de la ville sont les usines, les rues habitées par la populace, et la prison ; à l’est, sur la hauteur, la maison de charité et les hôpitaux. La partie méridionale de la ville, habitée au commencement du siècle par les riches marchands, est aujourd’hui presque déserte ; les boutiques et le tumulte, gagnant les rues hautes à mesure que la population augmentait, les en ont chassés. Ils ont transporté leur domicile dans les campagnes des environs. Les négocians passent à Liverpool cinq à six heures de la journée ; ils y tiennent leurs comptoirs, comme font les capitalistes de Londres dans la Cité. Mais c’est hors de la ville qu’ils vont respirer et vivre. Insensiblement la classe moyenne en Angleterre, à l’exemple de l’aristocratie, émigre ainsi vers les champs. Les villes, abandonnées aux classes inférieures, deviennent l’asile exclusif d’une infime et turbulente démocratie.

Les monumens de Liverpool sont ses docks et ses ouvrages hydrauliques, dont l’entretien annuel exige une dépense de 2 millions. Il n’y faut chercher ni temples magnifiques, ni théâtres, ni musées. Les maîtres de cet immense marché sont des parvenus de la veille, qui n’ont pas eu le temps de contracter les goûts d’une aristocratie, et qui ne connaissent ni l’élégance des mœurs ni les besoins de l’esprit. Ce sera beaucoup si la pensée religieuse ennoblit ces rudes na-