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SITUATION INTELLECTUELLE DE L’ALLEMANGNE.

universel. Tous les élans de l’ame, toutes les aspirations véhémentes de l’amour, toutes les extases, depuis la contemplation si solennelle de Valmiki jusqu’aux visions enflammées de sainte Thérèse, il les recueillait pour en faire je ne sais quelle symphonie impossible. Jamais les empressemens du génie cosmopolite de l’Allemagne, jamais son spiritualisme insatiable, n’avaient paru d’une façon plus extraordinaire. En même temps, il s’était formé un idiome inconnu jusque-là, souple, sinueux, puissant, formidable. Son Histoire des Mythes de l’Asie, qu’il serait si difficile de traduire en français à cause des bonds et des caprices de cette langue indisciplinée, restera comme le monument le plus étrange et le plus grand peut-être des ferveurs spiritualistes de l’Allemagne. Entraîné par l’ardeur de cet idéalisme avide, Gœrres transportait dans la politique l’enthousiasme de ses théories. Non-seulement il fut un des premiers à désirer l’unité de l’Allemagne, mais à cette unité, une fois obtenue, il promettait des miracles : c’était le renouvellement, non pas de l’Allemagne toute seule, mais du monde. Toutes ces idées étaient exposées avec une sorte d’inspiration dans le Mercure du Rhin qu’il fonda au mois de février 1814. Ce journal est l’œuvre la plus complète de Gœrres ; c’est là qu’il est tout entier. Mais là aussi commence pour lui l’épreuve nouvelle qui va diviser, si cela peut se dire, l’unité de cette grande ame et y introduire une contradiction qui la brisera. Quand Gœrres vit le Mercure du Rhin supprimé, quand il fut obligé de se défier du pouvoir politique sur lequel il avait compté pour régénérer l’Allemagne, son esprit impatient s’adressa à la puissance religieuse. Il avait voulu mener la société civile, le monde moderne, vers les destinées que son imagination grandiose lui construisait, et, l’esprit de la révolution l’ayant saisi, il était parti déjà ; mais le monde avait refusé de le suivre. Alors il prit en aversion cette Europe dont l’enthousiasme se lassait si vite, et il se persuada qu’il s’était trompé jusqu’alors, en croyant, avec l’histoire, à la grandeur du monde moderne. Voilà le combat qui s’élevait dans son ame, voilà les contradictions qui l’agitaient, et bientôt, se rejetant en arrière avec la même force qui l’avait poussé en avant, il revint à l’Europe du moyen-âge, à la théocratie, à Grégoire VII. C’est surtout dans son livre sur l’Allemagne et la révolution qu’on voit se déclarer ce brusque changement. Dans un livre publié en 1821 sous ce titre : l’Europe et la Révolution, il s’enfonce encore plus dans le passé, et, formulant mieux ses haines nouvelles, il écrit, à la face de l’Allemagne, que la réforme, est la seconde chute de l’homme, le