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SITUATION INTELLECTUELLE DE L’ALLEMANGNE.

L’université de Munich est donc surtout un asile pour ces lutteurs de la pensée. Toutefois, elle pourrait être plus que cela. Le mysticisme qui y fleurit volontiers pourrait lui donner une originalité plus vive. Sans entreprendre contre la Prusse une lutte impossible, sans vouloir renverser sa philosophie, elle pourrait la rectifier souvent avec les qualités qui lui sont propres. On a vu plus d’une fois la science du nord, dans sa dialectique trop rigoureuse, se perdre loin du monde réel ; plus d’une fois, en s’appuyant uniquement sur la raison, elle est arrivée à des conséquences intolérables, à un dieu indéterminé, au dieu de Spinosa. Eh bien ! souvent aussi des penseurs moins grands sans doute que Kant, que Fichte, que Hegel, mais plus tendres, en réclamant au nom du sentiment, au nom des forces vives du cœur, contre l’emploi unique de la raison, ont donné à cette philosophie des avertissemens profitables. C’est ce qu’avait fait le mysticisme du moyen-âge dans ses relations avec la scholastique. En Allemagne, ce furent surtout les écrivains moins rigoureux et plus facilement mystiques du midi qui corrigeaient les systèmes de Berlin ou de Koenigsberg. Herder et Jacobi avaient réclamé contre l’oppression des formules de Kant. Baader, le plus ingénieux, le mieux illuminé de tous ces profonds rêveurs, protesta long-temps contre la dialectique de Hegel, dont l’inflexible sévérité le révoltait. Enfin, il y a deux ans, ce ne fut pas seulement une réclamation de l’Allemagne du midi contre les penseurs de Berlin ; ce fut la Prusse elle-même qui vint demander à Munich M. de Schelling pour combattre l’intolérance de l’école hégélienne. Telle pourrait être l’originalité véritable de Munich. Ces hommes du midi sont pleins de ressources : s’ils n’ont pas l’enthousiasme sévère et l’indomptable hardiesse de la science du nord, ils ont plus d’invention assurément. N’est-ce pas de la Souabe et de la Franconie que sont venus, dans ces derniers temps, non-seulement les poètes, mais les métaphysiciens non-seulement Uhland et Rückert, mais Schelling et Hegel ?

Ce qui empêchera peut-être Munich de s’emparer de cette position, c’est l’intolérance étroite de son gouvernement. Ce catholicisme mystique de Gœrres et de Baader exige encore une liberté qui pourrait bien ne pas lui être accordée toujours. Munich est, en Allemagne, le poste le plus avancé de la politique ultramontaine, et c’est de là que Rome surveille les œuvres de la pensée germanique. La direction que suit le catholicisme dans plusieurs états méridionaux de ce pays fait comprendre l’importance de ce poste pour l’Italie. Si l’on pouvait connaître, en effet, avec tous ses détails, la situation exacte