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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/125

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SITUATION INTELLECTUELLE DE L’ALLEMANGNE.

de l’action, et en traduire l’esprit en signes visibles, arrivèrent bientôt à cette philosophie politique qui va se répandant de jour en jour, et qui est un des plus frappans caractères de la situation actuelle de ce pays.

L’évènement qui contribua le plus à faire éclater cette séparation et à mettre aux prises les différentes directions qui se formaient, ce fut, on le sait, l’application des théories de Hegel à la théologie, ce fut le livre de M. Strauss sur la vie de Jésus. Depuis ce jour, la question, jusque-là confuse et obscure, devint claire pour tout le monde. Les partis se rangèrent en bataille avec un ordre qu’on n’avait pas encore vu, et, tous les nuages étant dissipés, il fut plus facile de suivre les mouvemens de la lutte. L’ancienne école de Hegel, représentée par les Annales de Berlin, prétendait en vain avoir fidèlement gardé le véritable sens des paroles du maître. Placée entre les adversaires de la philosophie hégélienne et ces nouveaux disciples, cette seconde école qui venait de se jeter dans la mêlée avec tant d’effervescence et d’éclat, elle perdait chaque jour du terrain. Les jeunes hégéliens, comme on dit en Allemagne, venaient de fonder un journal, les Annales de Halle, qui exprimait avec beaucoup d’esprit, de verve, de hardiesse et d’insolence toute l’ardeur de leurs ambitions. Là, plus de formules abstraites, plus d’obscurité métaphysique, mais le système de Hegel enseigné à l’usage des tribuns de la jeune Allemagne. Enfin, peu de temps après, en 1841, M. de Schelling fut appelé à Berlin. C’était tout un évènement et des plus graves. L’ancienne école de Hegel sembla se ranimer devant le péril ; soutenue cette fois par les Annales de Halle, qui combattaient aussi ce retour à des doctrines que l’on croyait épuisées, elle montra dans cette résistance une vivacité singulière. Déjà, au mois de novembre 1840, un élève de M. de Schelling, M. Stahl, avait précédé son maître à Berlin. Il remplaçait M. Édouard Gans. On pense quel coup ce dut être pour l’école hégélienne. La mort de M. Gans était déjà une perte irréparable, et dont le regret a été rendu plus vif chaque jour par les évènemens qui l’ont suivie. M. Gans était le véritable chef depuis la mort de Hegel. Cet esprit à la fois si ardent et si ferme, si idéaliste et si rigoureux, cette riche et abondante nature qu’on a comparée à Diderot et qui avait aussi la netteté de Montesquieu, ce caractère si français dont M. Saint-Marc Girardin nous a peint vivement la ressemblante image[1], c’était là le guide dont l’école avait

  1. Voyez ce portrait de Gans dans la livraison de la Revue du 1er décembre 1839.