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REVUE. — CHRONIQUE.

les antipathies de peuplade à peuplade : c’est peut-être là le côté par lequel les Grecs modernes ressemblent trop aux Grecs anciens ; ajoutons aussi la prétention qu’auront sans doute les jeunes Grecs, les élèves de nos universités, d’appliquer du premier coup à leur pays les institutions des états les plus avancés de l’Europe, et reconnaissons que les élémens de trouble et de désordre ne manqueront pas dans ce petit royaume, que le christianisme a fondé, et qu’il doit maintenir à tout prix. La Grèce a besoin d’un pouvoir central, un pouvoir organisateur, éclairé et fort. Si ce pouvoir lui manque, elle peut lire son avenir dans les annales contemporaines de l’Espagne et de l’Amérique du Sud, avec cette différence toutefois que la Grèce n’aurait, pour se faire respecter, malgré ses désordres, ni la vaste barrière de l’Océan, ni la vieille grandeur de l’Espagne. Née d’une conférence, la Grèce turbulente, divisée, désordonnée, inquiétante pour l’Europe, pourrait disparaître au souffle d’une conférence. Elle qui était l’espérance de la chrétienté en Orient pourrait se trouver abaissée jusqu’aux misères d’un hospodarat. Que les Grecs n’oublient pas que leur indépendance n’est pas du goût de tout le monde, et que peut-être il est plus d’un homme en Grèce même qui, sous le masque du patriotisme, n’aspire qu’à un grand asservissement. Les Grecs ont mérité l’estime, l’admiration de l’Europe dans une lutte mémorable sur le champ de bataille ; il leur reste de les mériter également dans les conseils de la nation. Ils ont à prouver que les rares aptitudes dont la Providence les a doués, ils peuvent les faire servir au salut de leur pays en y organisant un gouvernement libre et fort, énergique et prudent, un pouvoir qui se partage sans s’affaiblir, et dont la responsabilité ne devienne pas une cause de pusillanimité et d’inaction.

Si nos espérances et nos craintes se balancent dans une certaine mesure à l’endroit de la Grèce, la justice ne nous commande pas moins de reconnaître que la dernière révolution n’a été que la conséquence des fautes du gouvernement du roi Othon. Singulier système ! Une constitution avait été promise aux Grecs, et un gouvernement nouveau, un gouvernement d’hier, un gouvernement sans force, sans antécédens, sans gloire, imaginait de pouvoir impunément, indifféremment éluder ces promesses ! — La Prusse n’a pas donné la constitution promise aux hommes de 1814. — La comparaison serait par trop étrange. Qu’on songe donc aux liens qui s’étaient formés, et dans la bonne et dans la mauvaise fortune, entre le peuple prussien et son vieux roi. D’ailleurs, si Frédéric-Guillaume refusait au peuple la constitution, il ne lui refusait pas un bon gouvernement, une administration active, économe, éclairée ; en fait, la Prusse est un des pays les mieux gouvernés du monde ; ce qui manque en Prusse, ce sont les garanties, les garanties du bien qui existe. En Grèce, au contraire, on refusait la constitution et on ne gouvernait pas ; c’est la manière la plus polie de dire comment on gouvernait : c’était trop. Dans les pays qui ont quelque sentiment de leurs forces et de leurs droits, le moins qu’on puisse faire, c’est de se résigner à les bien administrer et à leur faire oublier les charmes de la liberté dans les douceurs du bien-être.