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avec le libraire, jusqu’à offrir à M. Deplace, avec toute la délicatesse dont il est capable, un coupon dans le prix qui lui est dû : « Si j’y voyais le moindre danger, certainement, monsieur, je ne m’aviserais pas de manquer à un mérite aussi distingué que le vôtre, et un caractère dont je fais tant de cas, en vous faisant une proposition déplacée ; mais, je vous le répète, vous êtes au pied de la lettre co-propriétaire de l’ouvrage, et en cette qualité vous devez être co-partageant du prix… » M. Deplace refuse, comme on le pense bien, et d’une manière qui ne permet pas d’insister ; mais les termes mêmes de l’offre peuvent donner la mesure de l’obligation, telle que l’estimait M. de Maistre.

En supposant qu’il se l’exagérât un peu, qu’il accordât à son judicieux et savant correspondant un peu trop de valeur et d’action, on aime à voir cette part si largement faite à la critique et au conseil par un esprit si éminent et qui s’est donné pour impérieux. Tant de gens, qui passent plutôt pour éclectiques que pour absolus, se font tous les jours si grosse, sous nos yeux, la part du lion, quia nominor leo, que c’est plaisir de trouver M. de Maistre à ce point libéral et modeste. M. Deplace avait un sens droit, une instruction ecclésiastique et théologique fort étendue ; il savait avec précision l’état des esprits et des opinions en France sur ces matières ardentes ; il pouvait donner de bons renseignemens à l’éloquent étranger, et tempérer sa fougue là où elle aurait trop choqué, même les amis : motos componere fluctus. Quant à écrire de pareille encre et à colorer avec l’imagination, il ne l’aurait pas su ; mais il y a deux rôles : on a trop supprimé, dans ces derniers temps, le second.

Il faudrait pourtant y revenir. C’est pour avoir supprimé ce second rôle, celui du conseiller, du critique sincère et de l’homme de goût à consulter, c’est pour avoir réformé, comme inutiles, l’Aristarque, le Quintilius et le Fontanes, que l’école des modernes novateurs n’a évité aucun de ses défauts. Il y a là-dessus d’excellentes et simples vérités à redire ; j’espère en reparler à loisir quelque jour. Qu’est-il arrivé, et que voyons-nous en effet ? On a lu ses œuvres nouvellement écloses à ses amis ou soi-disant tels, pour être admiré, pour être applaudi, non pour prendre avis et se corriger ; on a posé en principe commode que c’était assez de se corriger d’un ouvrage dans le suivant. M. de Châteaubriand et M. de Maistre n’ont pas fait ainsi : le premier, dans les jeunes œuvres qui ont d’abord fondé sa gloire, a beaucoup dû (et il l’a proclamé assez souvent) à Fontanes, à Joubert, à un petit cercle d’amis choisis qu’il osait consulter avec ouverture, et qui, plus d’une fois, lui ont fait refaire ce qu’on admire à jamais comme les plus accomplis témoignages d’une telle muse. Mais ceci demanderait toute une étude et une considération à part : l’admirable docilité de l’un, la courageuse franchise des autres, offriraient un tableau déjà antique, et prêteraient une dernière lumière aux préceptes consacrés. Aujourd’hui c’est M. de Maistre qui vient y joindre à l’improviste son autorité d’écrivain auquel, certes, la verve n’a pas manqué. Non-seulement pour le fond et pour les faits ; mais pour la forme, il s’inquiétait, il