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jansénistes l’aventure du chasseur et du sanglier de la fable. Les jésuites sont morts, écrivait-il, et les jansénistes, qui viennent de les égorger, mourront bientôt comme le sanglier sur le cadavre de leur ennemi. Une très grande indifférence pour les discussions religieuses et les matières théologiques se fait remarquer dans tout ce qu’ont écrit les philosophes du dernier siècle. Ils traitaient d’impertinences scolastiques toutes les questions auxquelles avait donné naissance l’interprétation du christianisme, et ils étaient ravis de pouvoir renvoyer dos à dos les disciples de Loyola et les partisans de Jansénius.

Nous ne saurions aujourd’hui partager ce mépris pour la théologie, car nous reconnaissons dans la théologie la métaphysique elle-même. Quel est le fond de l’une et de l’autre ? Les idées, des intuitions, des constructions et des développemens logiques. Les théologiens font quelques hypothèses de plus que les métaphysiciens. Ils dogmatisent plus à leur aise, mais en réalité la théologie et la métaphysique sont deux faces diverses d’une même science. À ceux que scandaliserait cette manière d’apprécier les choses, nous produirons un témoignage qui ne saurait être suspect. « C’est par une sublime métaphysique, a écrit Fénelon[1], que saint Augustin a remonté aux premiers principes des vérités de la religion contre les païens et les hérétiques. C’est par la sublimité de cette science que saint Grégoire de Nazianze a mérité par excellence le nom de théologien. C’est par la métaphysique que saint Anselme et saint Thomas ont été dans les derniers siècles de grandes lumières. » Voilà pourquoi de nos jours c’est un droit pour les philosophes d’intervenir dans les questions théologiques, et c’est un devoir pour eux de les expliquer. Rien ne saurait être plus utile que de traiter clairement certains sujets dont on s’est bien gardé jusqu’à présent de dissiper l’obscurité. Les laïques dans notre siècle se mêleront donc de théologie, n’en déplaise aux jésuites.

À part son dédain pour les matières théologiques, d’Alembert a parlé des jésuites avec convenance et vérité. Les pages qu’il leur a consacrées sont judicieuses et piquantes. Il y eut ceci de singulier, c’est que dans l’écrit du célèbre encyclopédiste sur la destruction des jésuites, les jansénistes se trouvaient plus maltraités que leurs ennemis. D’Alembert avait du mépris, non pas pour le jansénisme de Port-Royal, mais pour ceux qui s’en portaient les successeurs au XVIIIe siècle. Il les comparait aux valets de chambre d’un grand sei-

  1. Troisième lettre au cardinal de Noailles, archevêque de Paris.