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FERNAND.

assistans ne purent retenir un mouvement de douloureuse surprise en revoyant leur maître si changé.

— Jésus mon Dieu ! est-ce toi, mon enfant ? s’écria la bonne femme qui lui avait servi de mère.

Il avait vieilli de vingt ans. On aurait vainement cherché sur son visage quelques vestiges de jeunesse. Ses cheveux s’étaient éclaircis ; ses yeux étaient éteints dans leur orbite ; les pleurs avaient creusé leur sillon sur ses joues amaigries et livides.

Après avoir embrassé sa nourrice et adressé à chacun quelques paroles bienveillantes, il se retira dans son appartement, où l’on s’était empressé de tout préparer pour le recevoir. Il y vécut comme dans un tombeau, sans communication avec le dehors, indifférent à toutes choses, même au mouvement de sa maison. Il avait cessé depuis long-temps tout commerce de lettres avec Karl Stein. Ses gens avaient reçu l’ordre de ne point répandre dans le pays la nouvelle de son retour. Il passa l’hiver dans un morne affaissement. Au printemps, il s’occupa de régler ses affaires et sembla tout disposer pour un long voyage. Quelques démarches qu’il fit à cette époque donnèrent à penser autour de lui qu’il avait l’intention de réaliser sa fortune et de visiter les pays lointains. En effet, après avoir désigné celui de ses domestiques qu’il désirait emmener, il engagea les autres à se pourvoir ailleurs, ajoutant toutefois qu’il ne vendrait jamais la maison de son père, qu’il en laisserait la garde à sa nourrice, et que tous ceux qui l’avaient aimé et servi y trouveraient de tout temps un asile. Comme il désirait échapper aux discussions d’intérêt, pour lesquelles il avait moins de goût que jamais, il s’entendit avec son notaire pour qu’il ne fût procédé qu’après son départ à la vente de ses domaines.

Tout était prêt. Il ne lui restait plus qu’à dire adieu à ces beaux lieux qu’il allait quitter pour toujours. La veille du jour fixé pour son départ, il voulut voir une dernière fois les ombrages de Mondeberre. On aurait pu croire, depuis son retour, qu’il en avait oublié le chemin. Les noms d’Alice et de sa mère n’étaient pas sortis une seule fois de sa bouche : pas un mot, pas une question ; on eût dit que ce coin de terre n’avait jamais existé pour lui. Près de s’éloigner pour ne plus revenir, il ne résista pas à ce vague besoin d’émotions qui ne meurt point chez les faibles et tendres ames. D’ailleurs il ne songeait pas à se présenter aux dames de Mondeberre. Bien qu’il n’eût pas écrit la lettre qu’il s’était promis d’envoyer de Florence, il y avait long-temps qu’il leur avait dit un éternel adieu dans son cœur. Il