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FERNAND.

mait pas moins que sa tendresse ne s’en réjouissait. Pleine de confiance dans la loyauté de M. de Peveney, ce jeune homme pourtant la troublait malgré elle. Que savait-elle de son passé ? que pouvait-elle présumer de ses sentimens ? Devait-elle, par une lâche complaisance, encourager une intimité qui pouvait ruiner de fond en comble la destinée, déjà trop compromise, d’une fille adorée ? Elle éprouvait, depuis le retour de Fernand, un inexplicable malaise, et parfois son ame frissonnait sous de vagues pressentimens. Après avoir vainement attendu qu’il déclarât ses intentions, Mme de Mondeberre se décida sans efforts à prendre elle-même l’initiative, un soir qu’ils marchaient tous deux dans une allée du parc.

— Monsieur de Peveney, lui dit-elle, je vais vous parler avec une franchise à laquelle je vous ai depuis long-temps habitué, et qui ne messied pas, j’en ai la conviction, à la noblesse de votre caractère. Je n’hésite pas plus à vous confier mes scrupules et mes terreurs que je n’hésitai, voici bientôt trois ans, à vous révéler mes rêves et mes espérances. Vous m’avez déjà entendue. Vous comprenez que votre présence ici ne saurait être indifférente, et que, si vous ne pouvez rien pour mon bonheur, vous me devez de ne rien ôter à mon repos. Sans doute il m’en coûtera de vous perdre ; mais, quelque rigoureux que m’apparaisse le sacrifice, je me résignerai plus aisément à vous pleurer toute ma vie qu’à vous maudire seulement une heure. Décidez donc vous-même de la nature des relations qui doivent désormais exister entre nous. C’est vous seul que j’en ferai juge. Je ne sais rien de votre passé et j’en respecte le mystère. Vous avez souffert, et mon cœur vous absout. Pour le reste, je m’en repose sur votre probité, vous estimant assez pour ne pas craindre d’affirmer devant Dieu que vous êtes incapable de prétendre à un titre dont vous vous sentiriez indigne.

Ces paroles éclairèrent M. de Peveney sur le véritable état de son cœur et l’amenèrent forcément à s’expliquer avec lui-même. Ainsi accusée, la position était claire et nette. Pris au dépourvu, Fernand ne devait plus songer à s’esquiver par d’hypocrites détours. Toutes les issues étaient fermées ; impossible d’éluder plus long-temps la conclusion qui lui était si loyalement offerte. Son premier mouvement fut d’obéir au cri de sa conscience et de se condamner à un exil éternel ; mais il n’était pas homme à trancher d’un seul coup le nœud de sa destinée. Il s’agissait pour lui de rompre le dernier lien qui le rattachât à la vie : il recula devant l’énormité du sacrifice ; du moins il voulut voir, avant de s’immoler, s’il ne lui restait pas quelque