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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

volontairement la différence des temps et le contraste de deux périodes pourtant si rapprochées. Je disais tout à l’heure que, pour la question littéraire, la révolution de 1830 avait coupé court et changé les conditions de succès ; je ne me suis pas assez expliqué peut-être. Sans doute le beau reste toujours beau, et il ne varie pas d’hier à demain ; mais il y a aussi dans les œuvres la forme, le cadre, l’art, l’artificiel même, si vous voulez. Or cette part, on le sait, était grande dans l’école littéraire d’alors, et j’ajouterai qu’elle avait assez droit de l’être, en raison des loisirs plus cultivés et des idées en vogue durant la seconde moitié de la restauration. C’est cette portion mobile qui a été ruinée du coup en juillet 1830 ; le je ne sais quoi de nouveau se cherche et ne s’est pas trouvé jusqu’ici.

Mais, dans la littérature politique, le contraste naturellement se tranche d’une façon plus directe encore. Les écrivains polémiques et les pamphlétaires l’ont bien senti : ceux qui ont eu du succès en dernier lieu l’ont pris sur un autre ton, et ce ton, en général, était plus aisé en ce qu’il a plutôt grossi. Le nom de Courier provoque le rapprochement avec un pamphlétaire d’esprit et même de talent, qu’on lui a comparé souvent en ces dernières années et que quelques-uns n’ont pas craint de lui préférer. L’homme d’esprit dont je parle sait bien à quoi s’en tenir. Je laisse de côté le fond politique et aussi le résultat matériel. J’ai là sous les yeux la onzième édition du Livre des Orateurs de Timon, et ce n’est sans doute pas la dernière. Ce Timon se dit d’Athènes ; mais qu’il y a loin de son quartier à la métairie de cet autre misanthrope tempéré de gaieté, duquel M. Magnin a dit en nous le montrant au bivouac avec son Homère : « Son esprit s’empreignit d’atticisme. Il reçut de la Grèce sa façon de sentir, de juger, de s’exprimer ; il fut Athénien par ses idées sur l’art, sur le beau. Après le génie grec, ce fut ce qui s’en rapproche le plus, le goût italien, le soleil d’Italie, l’art de Venise, de Florence, de Rome, qui l’enchantèrent le plus. La pureté du goût antique passa dans sa manière et produisit, en se mêlant à son cynisme de caserne et à ses mœurs quelque peu hussardes, un contraste des plus singuliers et des plus piquans. Dans ce Huron devenu artilleur, il y eut de l’Alcibiade. » — Au sortir de Longus et entre deux pages d’Hérodote, il lui parut plaisant de prendre à partie un régime tracassier et hypocrite qui l’avait piqué ; la difficulté de tout dire et de bien dire était l’amorce tout-à-fait propre à tenter cet esprit rompu aux graces. Le Timon d’aujourd’hui, qui avait dès-lors l’âge de la raison et même celui de la misanthropie, se serait bien gardé de se