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où personne d’honnête ne saurait aller. Elle est au-dessous de ses affaires ![1]. » Un tel scrupule n’était-il pas édifiant ?

Sur sa route, à Cappoquin, trouvant l’établissement du Mont-Meilleraye, fondé par les trappistes bretons, l’écrivain protestant reconnaît qu’ils ont merveilleusement fertilisé quelques rochers stériles où on leur a permis de s’établir, mais il s’en dédommage aussitôt par les reproches ordinaires des réformés à l’ascétisme. Il est vrai qu’il range les quakers sur la même ligne, et ne se gêne pas pour les assimiler, quakers et trappistes, aux fakirs indiens. Sans être précisément possédé d’un zèle fanatique pour aucun culte, nous n’admettons pas cette malveillance sans motif contre les gens qu’une foi plus ou moins éclairée conduit à certaines pratiques, lorsque ces pratiques sont compatibles avec le bien-être de la grande communauté. Aussi ne confondrons-nous jamais le solitaire qui se condamne au travail du corps pour dompter l’orgueil de l’esprit, avec l’insensé qui se mutile à coups de poignard, ou va se faire écraser par la roue d’une pagode roulante, sans que ses tortures ou son supplice profitent à personne.

Il y a moins d’amertume dans les réflexions du spirituel touriste à propos des ursulines de Blackrock. Ici les égards dus au beau sexe ont atténué son humeur satirique, et d’ailleurs, il en convient, il a eu peur. Peur, direz-vous, et de quoi ? Nous le laisserons répondre lui-même

« On nous fit entrer dans un salon très gai, où ne tarda pas à venir nous prendre la sœur No Deux-Huit, charmante et gracieuse femme dont voici le costume (Vignette représentant une ursuline). « C’est la plus jolie religieuse du couvent, » me dit à l’oreille l’ex-pensionnaire sous les auspices de laquelle j’étais venu. Alors, l’avouerai-je, bien que dans cette figure souriante et douce, dans cette taille déliée, souple et menue, il n’y eût rien de très effrayant pour personne, encore moins pour un énorme protestant de six pieds de haut, je ne pus m’empêcher de la regarder avec une émotion qui se révélait par un léger tremblement. C’était la première fois que je me trouvais en compagnie d’une religieuse. Dirai-je et pourquoi non ? — que leurs augustes voiles, leurs mystérieuses robes noires me font peur ? De même, lorsque je vois les prêtres catholiques vêtus de chapes étincelantes, et les petits thuriféraires écarlates, défiler en s’inclinant devant l’autel, leurs gestes, dont le sens m’échappe, le frémissement des chaînes, le mouvement cadencé des encensoirs fumans, l’odeur pénétrante qu’ils répandent au loin, me remplissent d’une secrète angoisse. Maintenant que me voilà vis-à-vis d’une vraie nonne, jolie et pâle, entre quatre murs, je me demande avec effroi si quelqu’une de ses sœurs n’est pas enfermée dans un in pace souterrain… ; si ce pauvre petit corps, si délicat et si frêle, est labouré des cicatrices que la discipline et la haire de crin doivent y laisser… ; et comment a-t-elle dîné aujourd’hui ?

« En passant auprès du réfectoire, nous avions subodoré je ne sais quelle im-

  1. Dey owe two hundred pounds at dat house, said she, and, faith, an honest woman can’t go dere.