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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/313

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LITTÉRATURE ANGLAISE.

ters ; noblesse de comptoir et de robe. Titmarsh reproche vertement au fameux collége catholique de Maynooth d’être l’institution la plus malpropre des trois royaumes, et propose de lui voter un subside en savon. Titmarsh se moque des beaux fils en uniforme qui traînent le sabre dans les villes d’Irlande, de ces beaux dragons raides et brillans, vernis depuis la pointe des cheveux jusqu’à la pointe des bottes. — Que veut donc Titmarsh, que demande Titmarsh, grand ennemi des universités anglaises et grand partisan des écoles d’agriculture ?

Nous ne souffririons cette question que d’un provincial. Un Parisien doit comprendre un Londoner. Un cockney n’est point une énigme pour un badaud. Il y a dans toutes les capitales, et en grand nombre, de ces êtres heureusement organisés, qui trouveraient à dire au Père Éternel lui-même, et sont bien décidés à s’en aller de ce monde sans y avoir rien laissé de certain dont ils n’aient pu douter, rien de sérieux dont ils ne se soient un peu moqué, rien de ridicule qui n’ait été par eux pris un instant au grand tragique. Nous les appelons des êtres, mais c’est dire trop ou trop peu : ce sont des paradoxes vivans que ces railleurs superficiels. Ils croient pouvoir tout dominer parce qu’ils comprennent tout ; ils ne reconnaissent de grand que ce qui échappe à la critique, autant vaut dire rien ; ils abusent d’ailleurs du droit de juger blanc aujourd’hui et noir demain, toujours suivant l’inspiration de leur caprice irresponsable, et toujours avec cette raison du moment que l’esprit ne manque jamais à donner ; bons camarades, au reste, convives charmans et toujours prêts à vous venger d’eux sur eux-mêmes, pour peu que vous ayez soif d’une si facile vengeance. Titmarsh plaisante la France en deux ou trois endroits. Il se moque de notre accueil empressé, mais vide, de notre affectuosité bavarde, mais banale et stérile, de bien des choses encore, et peut-être à bon droit. Cependant, comme Titmarsh est Français plus qu’à moitié, nous gagerions bien qu’il est tout prêt à nous faire ample réparation du mal qu’il a dit de nous. Quitte à recommencer le lendemain, si quelque bonne épigramme naît sous sa plume ou quelque bonne caricature sous son crayon.

En somme pourtant, et moyennant cette humeur particulière qui est justement le contraire d’un bienveillant éclectisme, moyennant cette faculté d’observation que ne dérange aucun parti pris, moyennant un sang froid parfait et une remarquable originalité de style, Titmarsh a écrit sur l’Irlande un des livres les plus agréables et les plus goûtés qui aient paru dans ces dernières années. Nous n’avons pu en donner qu’une idée fort incomplète ; mais comment transvaser une si subtile humour ? comment suivre un si agile voyageur ? En effleurant notre sujet, c’est-à-dire son livre, nous lui rendons ce qu’il a fait pour le sien, c’est-à-dire l’Irlande ; et nous nous déclarons très satisfaits si cette méthode nous a réussi comme à Titmarsh.


O. N.