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actuel que parce qu’ils y voient une menace pour l’avenir. En effet, si la prohibition établie en Sardaigne s’étendait sur les états que nous venons de nommer, la librairie belge pourrait se trouver aux abois, et c’est là le juste sujet de ses craintes. Bien des obstacles s’unissent malheureusement pour retarder le jour d’une transaction entre les puissances que séparent tant d’intérêts divers et de préoccupations politiques. Il n’en faut pas moins se féliciter qu’on ait introduit dans le traité sarde le principe qui atteint le transit de la contrefaçon belge.

Au surplus, le traité qu’on vient de signer avec la Sardaigne est peut-être digne d’attention plus encore sous le rapport politique que sous le rapport commercial. On peut y voir le signe, l’annonce d’une politique nouvelle, d’une politique conforme à l’esprit de notre temps et à la situation des diverses puissances. L’Italie ne renferme, à vrai dire, que trois états importans, et dont l’indépendance puisse être réelle, le royaume des Deux-Siciles, le royaume de Sardaigne, les états du pape ; tout le reste est sous la domination ou sous l’influence directe de l’Autriche. Toutes les fois qu’un petit état fait acte d’indépendance, toutes les fois même qu’il ne cède à un ascendant irrésistible qu’avec mesure et dignité, il a d’autant plus droit à nos éloges que sa situation est plus difficile. Mais, après tout, peut-on croire que les princes qui règnent à Parme, à Modène, à Florence, rompront avec leurs traditions, leurs habitudes, leurs affections personnelles, leurs sentimens de famille ? Les causes de déférence et d’adhésion vis-à-vis de l’Autriche n’existent pas à Rome, à Naples, à Turin. Il n’est pas moins vrai qu’à partir de 1815 jusqu’à ces derniers temps, l’influence de l’Autriche sur ces trois cours était incontestable et presque sans bornes. Il n’y avait rien là d’étonnant. C’était une conséquence prévue de la position que les évènemens et le congrès de Vienne avaient faite à l’Autriche. Les princes rétablis n’étaient remontés sur le trône qu’en tremblant : ils avaient peur de tout ; ils regardaient les nations comme des volcans, et toute idée libérale comme un feu souterrain pouvant à chaque instant amener l’explosion. De crainte de se tromper et de tomber dans un piége, ils qualifiaient d’idée libérale, révolutionnaire, abominable, toute mesure un peu nouvelle, toute garantie d’une bonne et sage administration. L’Autriche n’avait garde de les rassurer. Leurs terreurs faisaient sa force ; c’est d’elle qu’ils attendaient aide et protection. Seulement elle s’appliquait alors, par une politique dont elle n’aurait pas dû se départir, à gouverner ses provinces italiennes avec une modération et une habileté qui rendaient plus frappantes les erreurs et les sévérités des administrations sarde et pontificale. Les commotions politiques de 1820 et 1821 modifièrent profondément cet état de choses. L’Autriche octroya aux gouvernemens absolus de la péninsule italienne une protection active, armée, qui ressemblait fort à un acte de suzeraineté. Jusque-là elle ne faisait que jouer son rôle ; elle le jouait habilement. On lui avait abandonné l’Italie ; elle en faisait à son gré. Il lui importait de prouver qu’en Italie tout se pouvait avec elle, et que rien n’était pos-