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REVUE. — CHRONIQUE.

ils n’ont pas eu une seule administration véritablement autochtone. Les partis eux-mêmes n’avaient que des dénominations étrangères ; il y avait le parti français, le parti anglais, le parti russe ; il n’y avait pas le parti grec. C’est la fatalité des puissances secondaires ; elles subissent toujours forcément une tutelle. Avec la régence de M. Capo-d’Istrias, ce fut le parti russe qui domina ; avec le général Coletti, ce fut le parti français qui triompha ; avec M. d’Armansperg, le parti anglais. Ce n’est point qu’il faille déprécier la dette de reconnaissance que la Grèce a contractée envers les trois puissances protectrices. C’est, après tout, à leur intervention autant qu’à ses propres efforts, qu’elle dut son émancipation ; on se souvient que, lorsque l’Europe mit fin à la guerre de Grèce, les Turcs avaient résolu de transporter la population entière en Afrique pour l’y vendre comme esclave. Mais les trois puissances n’avaient sans doute pas entendu que la Grèce payât son indépendance du prix de ses libertés, et, en lui donnant une monarchie héréditaire, elles lui avaient aussi solennellement promis une monarchie constitutionnelle.

L’introduction du système représentatif en Grèce n’y eût point été une importation exotique ? comme celle d’une cour allemande. Le pays en avait tous les élémens dans ses institutions et ses franchises municipales, qui n’avaient pas cessé d’être en vigueur, même sous le régime absolu des pachas turcs. Ce n’est pas sans raison que, sous ce rapport, on a comparé la Grèce à l’Espagne. Toutes deux, sous la forme de gouvernement la plus tyrannique, conservaient une très grande part d’indépendance locale. Le village grec était, financièrement et judiciairement, sous l’autorité de ses notables, qui levaient les tributs et jugeaient les contestations à peu près comme les alcades et les ayuntamientos en Espagne. Ce fut à ces institutions que les deux peuples durent de pouvoir traverser des siècles de gouvernement absolu en conservant des habitudes de gouvernement libre.

La cour d’Athènes, sous la direction des trois cours protectrices, semble avoir eu pour système de n’accorder aux Grecs des constitutions libres que une à une, avec une sorte de parcimonie prudente, comme s’il se fût agi d’un peuple entièrement novice dans l’usage de la liberté. Ainsi, on leur laissa leurs corporations municipales et leurs assemblées provinciales, on leur donna la liberté de la presse, le jugement par jury, la publicité des débats judiciaires, et, au milieu de tout cela, la prérogative royale resta sans contrôle. On leur donna presque tout ce qui fait le régime constitutionnel, excepté une constitution ; et même lorsque, il y a deux ans, les trois cours de France, d’Angleterre et de Russie, voyant enfin que le gouvernement hellénique marchait droit à la banqueroute, lui présentèrent d’un commun accord un projet de réformes, elles n’allèrent pas jusqu’à y prononcer le mot de constitution. Elles indiquaient seulement des changemens à faire dans l’ordre administratif, et abordaient à peine ce qui touchait à l’ordre politique.

Le tort qu’eurent les trois puissances protectrices, ce fut de vouloir retenir le nouveau royaume hellénique dans un état prolongé de minorité, qui devait