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REVUE DES DEUX MONDES.

La presse s’est beaucoup occupée ces jours-ci d’une controverse des plus déplorables qui s’est élevée à Macao entre deux agens français, M. le comte de Ratti-Menton, consul de France, et M. Dubois de Jancigny, qui depuis 1841 remplit en Chine une mission dont il a été chargé par le gouvernement. À peine arrivé à Macao, M. de Ratti-Menton s’est empressé de dénier publiquement à M. de Jancigny la qualité d’agent français, en le menaçant des articles du code pénal qui s’appliquent à l’usurpation de titres ; M. de Jancigny a répondu par la même voie en annonçant qu’il poursuivrait le consul de France comme calomniateur devant les tribunaux de son pays. On a été à peu près unanime pour convenir que M. de Ratti-Menton avait, en cette occasion, commis la double faute de provoquer le débat, et de le rendre public. Que tous les torts soient en effet du côté du consul, c’est ce qu’un simple exposé des faits suffit pour prouver. Un journal de Macao, sept mois avant l’arrivée de M. de Ratti-Menton, avait donné à M. de Jancigny un titre reconnu par le gouvernement français, le titre fort simple d’agent commercial ; mais il avait commis l’erreur de le comprendre dans la liste des personnes attachées au consulat de France. C’est cette qualification erronée que M. de Ratti-Menton a cru devoir rectifier, on sait de quelle façon et en quels termes. En présence d’une provocation aussi gratuite et aussi inattendue, M. de Jancigny n’avait d’autre alternative que de suivre son adversaire sur le terrain qu’il avait lui-même choisi, et les expressions justement sévères de sa réponse ne présentent rien que de très naturel.

On a dit qu’au mois de décembre, le ministre des affaires étrangères avait expédié à M. de Jancigny des instructions qui lui enjoignaient de quitter la Chine, pour aller remplir ailleurs la seconde partie de sa mission, et qui mettaient à sa disposition la corvette la Favorite, pour le transporter sur les divers points indiqués par son itinéraire. Ce fait est parfaitement exact ; seulement, ce qu’on ne sait pas, c’est qu’au 29 mars ces instructions n’étaient pas encore parvenues à M. de Jancigny, et qu’à cette époque la corvette la Favorite avait depuis long-temps déjà quitté les mers de la Chine. M. de Jancigny, en admettant que les dépêches du gouvernement lui soient parvenues, se trouvait donc forcé d’attendre qu’on lui procurât un autre bâtiment, et il employait la prolongation obligée de son séjour en Chine à établir avec les autorités chinoises, aidé du concours de M. Challaye, gérant du consulat de France, les bases d’un traité avantageux pour son pays. Si M. de Jancigny eût voulu, après l’arrivée de M. de Ratti-Menton, continuer sans son concours ou sans son aveu, ces négociations, on pourrait comprendre le mécontentement de M. le consul de France, sans comprendre pour cela la forme inconvenante et le procédé inqualifiable par lesquels il a cru devoir l’exprimer ; mais ce que nous pouvons dire, c’est que dès que M. de Jancigny apprit l’arrivée du nouveau consul, il lui fit offrir de le mettre au courant de tout ce qui avait été fait sans lui, et que M. de Ratti-Menton ne répondit à ces offres que par l’étrange lettre qui a été l’origine d’un débat dont tout le scandale doit retomber sur lui.