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SAINT-GILES.

maisons de prostitution se touchent. À Saint-Giles, sur un espace de 700 yards (environ 700 mètres) de circonférence qu’on nomme le repaire (rookery), on compte 24 maisons suspectes, et dans chacune 10 prostituées ; et combien de quartiers dans Londres ressemblent à celui-là !

Outre les prostituées qui fréquentent ou qui habitent les maisons suspectes, et qui avouent publiquement leur profession, il y a la prostitution clandestine, qui descend depuis la courtisane et la femme entretenue jusqu’aux malheureuses qui infestent les abords des casernes (barracks), des vaisseaux et des prisons. Tout calcul serait ici problématique ; mais les données qui précèdent suffisent assurément pour démontrer que Londres ne peut revendiquer à cet égard aucune supériorité morale sur les grandes villes du continent, et sur Paris en particulier. On sait que Paris n’a jamais renfermé plus de 4,000 prostituées inscrites, et que le nombre de ces malheureuses est loin d’augmenter dans la capitale de la France avec la population.

En dressant ce triste catalogue, il n’entre pas dans ma pensée de rétorquer contre l’état moral de l’Angleterre les accusations que l’on a tant prodiguées à la France. Le nombre des prostituées ne porte pas nécessairement témoignage de l’immoralité d’un peuple. Les contrées méridionales de l’Europe qui n’ont pas ou qui ont peu de prostituées, sont précisément celles qui se distinguent par le relâchement des mœurs. L’étendue de la prostitution se mesure à la grandeur du luxe et à la profondeur de la misère ; l’une fournit les appétits auxquels l’autre est livrée par ses besoins. La même cause qui pousse les hommes au crime jette les femmes dans le vice ; vol ou prostitution, chaque sexe pille la société avec les armes que la nature lui a départies.

Toutes choses égales, la prostitution doit être plus commune à Londres qu’ailleurs, parce que les ressources du travail pour les jeunes filles y sont plus limitées. En Angleterre, les hommes font une partie de la besogne qui devrait revenir aux femmes ; ils président aux ouvrages d’aiguille et tiennent les comptoirs dans les magasins ainsi que dans les établissemens publics. En France, les femmes s’emparent d’une partie des travaux qui devraient revenir aux hommes ; elles portent des fardeaux, font le commerce, sont commis, teneurs de livres et compositeurs d’imprimerie. Les ouvrages d’aiguille sont si peu rétribués à Londres, que les jeunes personnes qui s’y livrent ont de la peine à gagner 4 sh. (5 francs) par semaine, en travaillant dix-huit heures par jour. On ne saurait rien imaginer de