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SAINT-GILES.

cette épidémie morale, et que le mal s’aggrave par la nature même ainsi que par l’étendue de leur dépravation. Le gamin de Paris est vagabond d’habitude et voleur par occasion ; le vice, en le marquant de son empreinte, ne lui enlève pas tout ce qu’il a d’humain, et sa précocité ne va pas jusqu’à l’initier, dès la plus tendre enfance, à tous les excès de l’âge viril. À Londres, il n’y a pas d’enfance pour les malfaiteurs : un jeune voleur n’a ni les qualités ni les défauts de son âge ; à neuf ou dix ans, c’est déjà un homme fait, aussi adroit que les filous les plus consommés, aussi étranger à tout principe et à tout sentiment, leur émule en débauche, leur maître en sang-froid, et, pour tout dire, un monstre avorton.

Cette espèce de criminels se recrutait principalement, il y a dix ans, dans les maisons de charité. Les orphelins et les enfans des familles pauvres, abandonnés ou mal surveillés par la paroisse dès qu’ils avaient l’âge d’apprendre un métier, se livraient au vagabondage et formaient des liaisons qui avaient bientôt achevé de les pervertir. Depuis que les commissaires chargés de l’administration des pauvres ont fondé, dans les environs de Windsor, une maison où ces enfans reçoivent une éducation professionnelle, les pourvoyeurs du vol sont dans la nécessité de s’adresser ailleurs. Cependant le nombre des jeunes délinquans, loin de diminuer à Londres, va au contraire croissant tous les ans. Il était de 11,781 en 1837, de 14,635 en 1838, de 13,587 en 1839, et de 14,031 en 1840. L’augmentation de 1842 sur la moyenne de ces quatre années est de 25 pour 100. N’y a-t-il pas là une progression bien menaçante pour la moralité des générations à venir ?

Avec un système d’éducation approprié à la réforme des jeunes délinquans, on en sauverait assurément un grand nombre ; mais rien n’est plus barbare ni moins efficace que le traitement qu’on leur fait subir. Un petit filou est surpris la main dans le sac, il arrive souvent que le marchand lésé lui inflige sur place une rude correction ; on le dépouille de ses vêtemens, on lance un chien après lui, et on le chasse, d’une chambre à l’autre, à grands coups de fouet, jusqu’à ce qu’il tombe épuisé sur le plancher. Alors une jatte de goudron étant apportée, on en barbouille le drôle de la tête aux pieds ; on le saupoudre ensuite d’une poussière blanche qui donne d’effroyables démangeaisons, puis on assujétit ses habits en un paquet sur la tête, on lui lie les mains derrière le dos, et on le met dehors, portant sur ses épaules ce mot écrit en gros caractères : « voleur. »

Les magistrats de Londres ont le même goût pour les corrections