Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/402

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
396
REVUE DES DEUX MONDES.

se borner à des déterminations astronomiques, comme l’avaient dû faire les hydrographes qui nous avaient précédés. Notre entreprise devait encore être facilitée par l’hospitalité empressée, les recommandations, les renseignemens de plusieurs personnages aussi bienveillans qu’éclairés.

Dès notre arrivée à Cagliari, notre aimable consul, M. Cottard, se chargea de nous présenter à son excellence le vice-roi. On nous fit attendre quelque temps dans une vaste salle où se trouvent appendus, à une haute muraille grise, les portraits de tous les vice-rois qui ont gouverné l’île depuis sa réunion à la couronne d’Aragon. Rien ne semblait moins encourageant que la contenance rébarbative de toutes ces excellences bardées de fer, qui nous jetaient un fier regard du haut de leurs cadres vermoulus. Nous nous trouvâmes plus à l’aise avec leur successeur. M. le comte dell’Assarte nous reçut de la façon la plus gracieuse, et cet accueil nous parut d’un heureux augure pour l’avenir de notre expédition. C’est en effet à l’intérêt constant que M. le comte dell’Assarte voulut bien nous témoigner que nous dûmes de rencontrer partout un dévouement affectueux. Outre les recommandations qu’il prit la peine d’expédier de tous côtés, il eut encore la bonté de nous faire remettre une espèce de firman, revêtu de ses armes, dans lequel il intimait l’ordre aux autorités de la côte et de l’intérieur de nous venir en aide en toute occasion. Au moyen de ce talisman, les difficultés que nous aurions pu rencontrer dans le mauvais vouloir des habitans s’aplanirent devant nous. Deux campagnes nous suffirent pour explorer minutieusement les côtes méridionales de la Sardaigne, depuis la baie de Saint-Pierre jusqu’au cap Ferrato.

De tous les pays que j’ai visités, je ne sais pourquoi la Sardaigne seule m’a laissé une secrète sympathie. Peut-être l’obscurité dans laquelle elle a vécu jusqu’ici, et qui l’a préservée de l’invasion des touristes, est-elle un grand charme à mes yeux ; car j’ai pour les pays que j’aime une sorte d’affection jalouse qui n’admet pas volontiers de partage. Il semble que trop de regards profaneraient les sites qui m’enchantent, et qu’ils cesseraient de me plaire, si chacun pouvait les admirer. Le secret de ma prédilection pour la Sardaigne n’est point cependant tout entier, je l’espère, dans cette jouissance ombrageuse, dans ce besoin envieux de possession exclusive dont je m’accuse sans détour. Il doit s’y mêler, si je ne suis pas un ingrat, quelque souvenir des bontés dont j’ai été l’objet pendant mon séjour dans cette île.