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à la limite des régences d’Alger et de Tunis. En 1737, plusieurs de ces familles quittèrent Tabarque et vinrent s’installer dans l’île entièrement inhabitée de Saint-Pierre, qui était alors un fief du marquis de la Guardia. Quatre ou cinq jours plus tard, Charles-Emmanuel réunit à ces premières familles cent-vingt captifs de même origine qui avaient été emmenés en esclavage par les Tunisiens, et qu’il racheta. Il obtint en même temps du marquis de la Guardia la cession de tous ses droits, et fit élever un fort, aujourd’hui ruiné, qui devint le centre de Carlo-Forte. L’industrieuse population de cette petite ville atteint presque le chiffre de trois mille ames. Fidèle à sa nationalité tabarquine, elle n’a rien de commun avec les farouches habitans de la Sardaigne, dont tout la sépare, son langage, la douceur de ses mœurs, ses habitudes civilisées et son amour pour le travail. La pêche du thon qu’exploitent quatre madragues établies sur la côte occidentale de la Sardaigne, est pour elle une source d’occupations et de profits pendant trois mois de l’année. Mais, après tout, le Tabarquin n’est jamais embarrassé de son temps. Quand la pêche ne l’emploie pas, il fait un petit cabotage, il s’aventure même en été jusqu’aux côtes de l’Algérie ; dans ses momens perdus, il bêche un coin de terre. Ce n’est point là un hardi pêcheur comme le corailleur sicilien qu’on voit quitter Marsala ou Drapani dès le mois d’avril pour aller affronter dans son bateau ponté les orages du canal de Malte. Le Tabarquin n’est pas si entreprenant : il n’a rien d’aventureux dans son caractère, et, à tout prendre, je ne le crois pas un grand marin, mais il est patient, sobre, laborieux, de mœurs douces et honnêtes : s’il se refuse à courir de grands risques, c’est qu’il se trouve trop heureux pour cela. La ville de Carlo-Forte a un aspect de propreté qui charme ; les enfans y ont l’air sain et vigoureux, les femmes y sont gracieuses, et bien faites ; les hommes, généralement grands et robustes, ont une physionomie bienveillante, qui inspire la confiance. Les tribunaux ont peu à faire à Carlo-Forte.

Nous réservâmes, pour notre seconde campagne, l’exploration du golfe de Palmas. L’île de Saint-Antioche, qui en forme la partie occidentale, est très fertile. Elle est jointe au continent sarde par deux étroites langues de terre qui encadrent de vastes étangs, avantageusement exploités comme pêcheries. Au point de jonction s’élève un petit fortin qui protége le pont sur lequel passe la route d’Iglesias à Saint-Antioche. Sous les arches de ce pont, un canal presqu’à sec unit par un mince filet d’eau le golfe de Palmas et celui de Saint-