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LA SARDAIGNE.

dans lesquels se logeait l’essieu, et c’était cet essieu même, portant à chaque extrémité une roue massive, qui tournait dans les encastremens. Les roues, composées de trois planches unies par une grande clouée en travers, étaient entourées, non par un cercle de fer, mais par d’énormes clous dont les têtes triangulaires se touchaient.

Peu encouragés par ces préparatifs, nous prîmes place en frissonnant auprès de notre cocher. Celui-ci se dirigea vers un ruisseau dont le lit formait l’enceinte de la vaste prairie où il avait été chercher son attelage. Tout d’un coup, il pique ses agiles taureaux en les animant de la voix ; les deux roues du char tombent à la fois de près de trois pieds de haut au fond du ruisseau ; nous chancelons à cette secousse inattendue ; la ferme contenance de notre guide nous rassure, et nous voilà suivant le lit inégal et raboteux de ce ruisseau, qui coulait à pleins bords entre deux haies de ronces et de rosiers sauvages. Nos coursiers avaient de l’eau jusqu’au poitrail. Le jeune paysan, attentif à les diriger, leur parlait sans cesse et les maintenait soigneusement au milieu du courant. Il y avait des endroits où nous faisions, en passant, une trouée à travers les buissons qui se rejoignaient d’un bord à l’autre du fossé. Le moins qui pût nous arriver, selon les apparences, devait être de laisser aux ronces la moitié de nos vêtemens ; quand le lit du ruisseau devenait trop étroit, la roue du char montait sur la berge, et nous inclinions tellement que nous nous crûmes vingt fois sur le point de verser. Enfin, après un quart d’heure de ce supplice, nous prîmes terre sur un sentier qui, bien que creusé par de profondes ornières, n’était que roses après le chemin d’amphibies que nous venions de parcourir. Notre cocher se retourna alors vers nous, et son sourire sembla nous demander ce que nous pensions des moyens de transport de Teulada. En vérité, nous pensions que, si les Sardes voulaient continuer à naviguer ainsi dans les fossés, ils faisaient bien de garder leur plaustrum et de repousser obstinément toutes les innovations qu’on cherche à introduire à cet égard dans leur île, car je ne connais pas de véhicule mieux approprié au genre de pérégrination dont nous avions fait l’épreuve.

Les communications maritimes ont aussi conservé quelque chose de primitif, du moins sur les côtes orientales. Le défaut de ports, dans cette région, n’admettant guère que des bateaux que l’on puisse tirer sur le rivage, on y emploie le ciù (prononcez tchiou), construction propre à la Sardaigne. C’est un grand bateau plat, pointu des deux bouts, emporté par une immense voile triangulaire, semblable à l’aile