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la terre, il veut naviguer sur l’Océan pour s’arracher à ses souvenirs ; il part avec Méphistophélès, mais le vaisseau est brisé par l’orage, et nos voyageurs, qui ont pu regagner le bord, entrent dans un cabaret rempli de matelots et de filles perdues ; Faust leur demande s’ils croient en Dieu, puis il les quitte et va se tuer sur un rocher. Méphistophélès arrive, qui emporte son ame. Voilà ce poème, où l’auteur n’a montré que les efforts impuissans d’une imagination aux abois. Quant au sens du livre, je le répète, c’est une énigme indéchiffrable ; comprenne qui pourra ces imitations incohérentes, je ne me charge pas de les expliquer. J’ai beau chercher, j’ai beau interroger l’ensemble et les détails ; je ne puis découvrir les secrètes intentions du poète, j’ignore ce qu’il a voulu. Est-ce simplement le Faust de Goethe refait et corrigé ? Une pareille entreprise se juge d’elle-même. Est-ce une contre-partie, une réfutation ? Il ne paraît pas. Qu’est-ce enfin que ce Faust qui cède si aisément aux conseils de la débauche, et qui n’a ni les entraînemens de don Juan ni l’exaltation spirituelle de Manfred ? Mais j’ai tort vraiment d’y vouloir trouver une signification sérieuse, et je suis forcé de croire que l’auteur n’a désiré qu’une occasion pour des tirades sonores et des tableaux éclatans. Le seul mérite, en effet, qu’on puisse louer dans son œuvre, c’est une certaine vigueur de style, bien qu’elle s’abaisse trop souvent à la grossièreté.

M. Nicolas Lenau n’a pas été beaucoup plus heureux dans son Savonarole. S’il fallait, pour renouveler la légende de Faust, pour faire lire sans impatience une œuvre dont le seul nom évoque devant nos souvenirs les plus énergiques inventions de l’art moderne, s’il fallait une imagination vraiment originale, la tâche nouvelle que s’imposait M. Lenau en voulant consacrer par la poésie un des plus grands sujets de l’histoire du moyen-âge exigeait aussi une puissance qui décidément ne lui appartient pas. Ressusciter pour nous l’Italie du XVe siècle, reconstruire l’ancienne Florence, nous transporter au sein de l’église déjà affaiblie et corrompue, puis de la corruption universelle faire sortir ce moine énergique, cet ardent dominicain, le jeter au milieu des désordres qu’il veut faire disparaître, des misères morales qu’il veut châtier, de l’église enfin, à qui il espère rendre la sévère beauté qu’elle a perdue : c’était là un programme magnifique, mais difficile à remplir, une éclatante et périlleuse occasion. Une pareille tâche eût pu tenter le génie de Shakspeare, et l’histoire entre ses mains, reproduite avec une vigueur égale à la réalité même, aurait atteint à une beauté merveilleuse. Le poème de