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DE L’ÉTAT DE LA POÉSIE EN ALLEMAGNE.

revivent en lui. Savonarole aperçoit les patriarches, les prophètes, les pères de l’église, qui viennent au-devant de lui par les belles avenues du ciel. Des oiseaux chantent sur les arbres ; des gazelles toutes blanches, des daims, des cerfs, boivent l’eau des sources sur la lisière des bois. Un ange explique à Savonarole le sens de tout ce qui frappe ses yeux : ces blanches gazelles, ces daims qui courent sans effroi dans la prairie c’est l’humanité telle qu’elle sera un jour, purifiée, heureuse, vivant sans crime et sans douleur dans les vallées de la terre ; les oiseaux qui chantent sur les branches, ce sont les penseurs, les esprits avides de la divinité qui s’élèvent vers elle en la cherchant sur les cimes de l’intelligence. Jean le bien aimé vient ensuite et bénit tout le pays ; les fleurs se colorent du sang du Christ ; cette merveilleuse vallée, à mesure qu’on avance ; devient plus belle, plus divine ; là-bas, voici le trône de Dieu, et déjà ce n’est plus de l’air qu’on respire, c’est le souffle embaumé des prières. Il y a une gracieuse poésie dans ce songe du pauvre moine. Je trouve aussi dans la scène du martyre une invention qui n’est pas sans beauté : tandis que Savonarole meurt sur le bûcher, tandis que cette foule mobile qui l’aimait autrefois vocifère autour de lui, un juif qui l’avait toujours poursuivi de sa haine, arrivé là pour l’insulter une dernière fois, rencontre son regard illuminé d’une clarté toute divine ; frappé par cette lumière, et atteint jusqu’au fond de l’ame, il éclate en sanglots, il s’agenouille au pied du bûcher, et crie à Savonarole : Baptise-moi, baptise-moi, je suis chrétien ! Je te baptise avec tes larmes, lui répond le mourant. Et quand ses cendres sont jetées dans le fleuve, le vieux juif suit le flot qui emporte ces restes sacrés, il marche, il marche le long de l’Arno, il va jour et nuit sans se reposer, jusqu’à ce qu’il tombe et meure d’épuisement.

On a pu remarquer que M. Lenau rachetait quelquefois par le mérite de certains détails tout ce qu’il y a de faible et d’insuffisant dans l’ensemble de son œuvre. Assurément, ce poème ne se lit pas sans plaisir ; mais dans cette série de petits chants, de courtes romances, où retrouver la vive physionomie de cette dure époque ? où sont tant de passions aux prises ? où est cette énergie si sainte du moine florentin, son éloquence si hardie, et tout ce drame enfin, plein d’émotion et de mouvement ? M. Nicolas Lenau, il faut bien le dire, a été vaincu par l’histoire, comme dans son Faust il a été vaincu par le souvenir des chefs-d’œuvre qu’il imitait.

Un poète qui appartient à la même école que M. Lenau, à l’école autrichienne, et qui, comme lui, s’était annoncé avec éclat dans ses