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d’ailleurs est incontestable, a peu de goût pour la pensée ; son genre, c’est la ballade, brillante, étincelante ; ce sont de vives peintures chaudement colorées, c’est la reproduction d’une nature pleine de lumière, de la nature d’Orient et d’Afrique, avec une audace de couleurs étranges qui ne messied pas. M. Lenau avait été loué pour sa pensée, pour sa mélancolie ; mais il vient de montrer qu’on avait trop compté sur les ressources de sa muse. M. Freiligrath, au contraire, a été salué dès le commencement par ceux qui voulaient que la poésie abandonnât le terrain d’un romantisme idéaliste ; il est surtout un coloriste bizarre et hardi.

Lorsque l’Allemagne s’était occupée de l’Orient, elle y avait toujours cherché un aliment aux ardeurs religieuses de son génie. La muse allemande se reconnaissait dans les contemplations profondes de la poésie indienne, dans le gracieux mysticisme de l’école persane. Non-seulement Herder, Goethe, Novalis, Rückert, mais au-dessous d’eux tous les poètes, tous les écrivains qui les avaient suivis sur les bords du Gange, n’avaient eu qu’une seule pensée : c’était de satisfaire, chacun à sa manière et selon la direction particulière de son esprit, cet amour des mystiques profondeurs. M. Freiligrath est entré d’une tout autre façon dans le monde asiatique ; personne n’est moins mystique que lui, personne ne se soucie moins des richesses invisibles amassées là depuis des siècles, de ces trésors de contemplations et de rêverie que recèlent les prodigieux systèmes de l’Inde. Il a pénétré cavalièrement dans ces sanctuaires où les maîtres n’entraient jamais qu’avec émotion et respect. C’est là l’originalité de M. Freiligrath, et la cause de la surprise qui a accueilli ses vers, il y a quelques années. Rien n’était plus nouveau, plus inattendu, plus irrespectueux peut-être, et plus piquant. L’auteur n’aimait l’Orient que pour lui ravir ses vives couleurs, pour composer des groupes étincelans, ou pour peindre, non sans vigueur, quelque tableau du désert. L’imitation, du reste, y avait bien sa part, et il n’était pas difficile de reconnaître dans maintes pièces l’étude attentive de M. Hugo. Figurez-vous la folle apparition des Orientales avec leurs splendeurs, leurs pavillons victorieux, toutes leurs richesses déployées, au milieu de ces sages à barbe blanche qui commentent silencieusement les Védas !

M. Freiligrath ressemble surtout à son modèle dans les pièces où il a peint la nature toute seule et cherché la grandeur, l’effet inattendu, la bizarrerie, sans enfermer une idée sous les formes brillantes de sa poésie. Il a lutté quelquefois avec bonheur contre