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La conseillère voulait que Bettina écrivît souvent et longuement à Goethe : c’était le vrai moyen, selon elle, de donner de l’air à son imagination. Maintenant qu’on commence à connaître Mlle de Brentano, on se doute bien qu’elle profita amplement de la permission. Pendant huit années, l’auteur de Werther reçut assidument les dithyrambes éloquens et passionnés de Bettina ; il y répondait quelques mots de temps en temps. C’est à ce commerce épistolaire commencé en 1807 et interrompu en 1811, quand Mlle de Brentano devint Mme d’Arnim, que la publicité a été donnée, il y a quelques années, par Bettina elle-même.

Ce qui frappe surtout dans cette correspondance, l’impression générale en demeure, c’est la vive sympathie de Mlle de Brentano pour le monde extérieur, c’est l’enivrement où la jette le spectacle du milieu où s’agite l’humanité. Il y a un endroit curieux où son secret lui échappe, où ce matérialisme sentimental se déclare sans aucun scrupule : « J’envoie au diable, s’écrie-t-elle, les tendances hypocrites et morales, avec toutes leurs friperies mensongères ; les sens seuls savent créer dans l’art comme dans la nature. » Curieuse, penchée avec volupté, Bettina se laisse attirer sur le sein de la mère commune (alma mater), elle écoute, elle entend l’être sourdre dans ses flancs féconds. Cette harmonie, ce concert de la vie universelle la séduisent, l’absorbent ; elle cherche à s’identifier avec le monde, elle se perd dans la contemplation de ce qui l’environne. Alors des délices inconnues l’inondent, et elle n’entend plus que l’hymne confus chanté dans les espaces par tout ce qui respire, par tout ce qui est animé : selon elle, un hanneton, en effleurant dans son vol le nez d’un philosophe, suffit à culbuter tout un système. Le clapotement de l’eau qui court entre les cailloux de la plaine, la brise qui agite les brins d’herbe, un insecte bruissant au fond de la mousse, une branche tremblante dans la feuillée sous les pas d’un oiseau jaseur, une lueur errante, un nuage doré qu’emporte le vent, la goutte de rosée où se reflète le soleil, le disque de la lune qui glisse sur la brume du soir, toutes ces choses pour elle sont autant de notes de la symphonie amoureuse qui monte de la terre vers le ciel. Bettina a tour à tour, pour la nature, l’amour sombre de Lucrèce, le culte enthousiaste de Diderot, la tendre sympathie de Bernardin de Saint-Pierre, l’admiration sereine de Buffon, et tout cela mêlé à ce que la poésie la plus foncièrement germanique a de vagues et de mystérieux épanchemens. Ses plus grandes joies, comme ses plus vives amertumes, viennent de ce commerce animé avec l’ensemble du monde physique. Souvent il lui semble que, dans les choses d’alentour, du sein de ces forces vitales, un esprit plaintif demande sans cesse sa délivrance. Les fleurs elles-mêmes paraissent alors la regarder, et, dans ces regards, il y a une question. Mais comment y répondre autrement que par des pleurs ? C’est pour cela que, quand elle est assise sous la tonnelle de chèvrefeuille, elle mêle ses larmes au miel des corolles ; c’est à cause de cette sympathique tristesse des êtres en présence les uns des autres, qu’elle s’écrie : « Nous nous connaissons, le chevreuil et moi. — Il serait facile