Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/500

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
494
REVUE DES DEUX MONDES.

que d’avoir foi à l’empire de la force ! Nous avions conclu volontiers à une révolution irlandaise, en voyant l’agitation de l’Irlande, quoique notre bon sens nous avertît que le succès de cette révolution était impossible. Aussitôt que nous avons vu le gouvernement anglais prendre d’énergiques mesures de répression et O’Connell céder à ces mesures, sans oser essayer la moindre résistance, nous avons conclu tout aussi précipitamment que tout était fini en Irlande, et que le rôle du grand agitateur était terminé. Il n’en était rien. L’agitation n’avait pas amené la révolution ; la répression n’a pas arrêté l’agitation. Que d’échecs pour la logique !

Le premier acte du drame que joue O’Connell en Irlande s’est terminé par l’interdiction du meeting de Clontarf, vrai coup de théâtre qui a donné à tout une face imprévue, qui a mis sur le front d’O’Connell une sueur d’angoisses, car il était perdu, et l’Irlande avec lui, si le sang touchait au sang, si un coup de fusil partait, si un cadavre anglais ou irlandais était emporté du champ de la réunion. Il n’en a rien été : Dieu en soit loué ! et personne n’a dû dire ce Te Deum avec plus d’émotion et de joie qu’O’Connell.

Maintenant commence le second acte, qui sera, nous le croyons, moins intéressant, moins pompeux que le premier. La scène ne se passera plus en plein air et sous ce ciel qu’O’Connell a fini, aussi, Dieu me pardonne, par nous faire croire brillant et beau, sous le ciel de la verte Erin. Nous n’aurons plus pour acteurs des milliers d’hommes qui, comme un chœur gigantesque, chantent les promesses de la délivrance prochaine : nous quittons, pour ainsi dire, le théâtre romantique pour le théâtre classique ; nous rentrons dans le cabinet ; nous serons dans les clubs, dans les tribunaux ; nous entendrons plaider ; nous attendrons le verdict des jurés. Mais ne vous laissez pas duper par l’appareil de cette procédure ; ne croyez pas que hors du tribunal et hors de la salle où délibère le jury, il n’y ait rien. L’agitation continue ; elle a changé d’allures, elle a d’autres procédés, elle a le même but, elle a la même efficacité.

O’Connell et l’Irlande ont donc leur but ? dira-t-on ; ils veulent donc faire et ils font réellement quelque chose ? Oui, selon nous, cette agitation n’est ni stérile ni inefficace. On se trompe quand on en attend trop, on se trompe quand on en attend trop peu.

L’Irlande ne sera jamais pour l’Angleterre une révolution et une guerre civile. Que sera-ce donc ? Ce sera, et pour long-temps encore, un embarras et une difficulté. Vaincue et soumise depuis long-temps, elle n’a pas la force de secouer le joug de l’Angleterre ; mais elle peut s’agiter, et cette agitation peut être plus ou moins grande, et par cela même plus ou moins embarrassante pour l’Angleterre. À Dieu ne plaise que nous voulions dire que l’Angleterre, la veille du meeting de Clontarf, voulait changer en une courte et décisive guerre civile l’embarras permanent que lui cause l’Irlande ! Assurément, elle en aurait fini plus vite de cette manière. C’est ce qu’O’Connell a parfaitement compris. Il s’est bien gardé d’aller au-delà de l’agitation, c’est-à-dire au-delà de la force de l’Irlande. Il a reculé devant l’Angleterre pour rester dans les limites du mal qu’il peut lui faire, sans se laisser tenter un instant par l’espoir du mal qu’il ne peut pas lui faire ; et quand il prodigue aujour-