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à leurs yeux, elles s’isolent. Les questions, puisque c’est ainsi qu’on les nomme, tant qu’elles sont agitées, ont beau se heurter, se mêler, s’enchevêtrer : les intérêts particuliers qui les suscitent ou qu’elle éveillent conservent à chacune sa physionomie individuelle, et l’effort même qui les pousse à une solution les réduit à leur expression la plus simple, les ramène dans leurs plus strictes limites. Les lettres devaient subir à leur manière ce besoin et cette habitude, constans dans les choses politiques, de simplifier pour éclaircir, de décomposer pour faire comprendre, de n’attirer la pensée que sur les traits les plus saillans habilement mis en lumière, pour la conduire rapidement aux conclusions immédiates et aux résultats pratiques. La brillante littérature des essayists et le mode de publication qu’elle s’est créé, la revue, répondent précisément à cette habitude et servent à merveille ce besoin.

La question des formes sous lesquelles les productions de la pensée arrivent au public n’est pas, en ce moment, d’une médiocre importance au point de vue littéraire. Des trois cadres, le livre, le journal, la revue, qui sont ouverts aujourd’hui aux ouvrages de l’esprit, si le premier est de plus en plus délaissé, c’est l’heureux privilége de la revue de pouvoir concilier, avec de nouveaux besoins intellectuels, les intérêts élevés de la littérature. Il serait puéril de nier l’action que la presse quotidienne exerce sur la société, il serait absurde de nier l’utilité générale de cette action, il serait injuste de méconnaître le talent éminent quelquefois qui se déploie et se consume dans l’ingrat labeur du journal ; mais il ne serait ni moins injuste, ni moins déraisonnable, ni moins ridicule, de fermer les yeux sur la malheureuse influence que le journal tend à exercer sur les lettres. Le journal apporte à la littérature tous les vices et tous les périls de l’improvisation ; il ne peut guère prétendre à remplir avec succès que la part, distinguée, je le veux bien, mais fort restreinte, que la littérature a faite à l’improvisation. Parmi les œuvres de l’intelligence, s’il en est auxquelles le journal ne se refuse pas entièrement, ce sont tout au plus ces soudains et rapides jaillissemens de la verve, ces vifs et étincelans caprices de la fantaisie, ce je ne sais quoi d’ailleurs si français, que notre langue lui a décerné par excellence et d’honneur le nom d’esprit. Peut-être, en tenant compte, bien entendu, de la distance des temps et des manières, y a-t-il place dans le feuilleton (je prends le mot dans son acception primitive) pour quelque chose d’analogue à ce que le XVIIe siècle mettait dans la correspondance ; peut-être le feuilleton, cette lettre envoyée par