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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/554

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REVUE DES DEUX MONDES.

Sévère jusqu’à la cruauté pour les ennemis de sa personne, Richelieu n’avait ni fanatisme de parti, ni besoin de vengeances collectives. Il n’eut pas d’effort à faire sur lui-même pour se montrer modéré, et l’état de l’Europe lui prescrivait d’ailleurs la promptitude et la prudence. Il enleva à La Rochelle tous les droits par lesquels une république municipale se maintenait au sein de la monarchie, il rasa les forts et les remparts, symboles et instrumens de sa dangereuse indépendance ; mais il ne songea pas même à porter atteinte à la sécurité des habitans et à la pleine liberté de leur conscience. Rien, dans le cours de sa vie, n’indique d’arrière-pensée contraire à la liberté religieuse. Il respecta toujours celle des réformés, et nous le voyons stipuler le même droit en faveur des catholiques près de Gustave-Adolphe et de tous les princes protestans, comme condition péremptoire de ses secours. Si la prise de La Rochelle a donc rendu possible la révocation de l’édit de Nantes, il est certain du moins que la pensée de cette révocation appartient à une politique toute différente de celle du cardinal.

La soumission de cette ville entoura le front de Richelieu d’une auréole éclatante. Il apparut dès-lors comme une puissance même pour ses ennemis, et il posséda la plénitude de cette force que donne toujours la conscience d’un grand rôle reconnu par l’opinion. Il s’attacha de toutes les manières à exploiter ce prestige, agissant sur l’esprit public par toutes les voies alors ouvertes à la publicité. La discipline des lettres était à ses yeux la conséquence de la discipline sociale, et la plupart des écrivains subirent sans résistance une influence qui s’épanchait en libéralités. Mais le moment n’était pas encore venu de savourer en paix au Palais-Cardinal les banales flatteries de ses poètes, les longues harangues de ses créatures de l’Académie, et de se faire saluer comme le suprême modérateur du monde dans de pompeuses héroïdes et des tableaux chorégraphiques. Si un pas décisif avait été fait, ce n’était encore qu’un premier pas dans une carrière toute semée de périls. La soumission de La Rochelle n’avait point entraîné celle des villes huguenotes du midi, et si, à l’annonce du grand désastre, la consternation s’était répandue dans les châteaux escarpés baignés par l’Ardèche et par le Rhône, les religionnaires ne persistaient pas moins à défendre pied à pied les remparts de leurs nombreuses villes de sûreté et la multitude de forteresses perchées au sommet de leurs montagnes.

La douleur qu’avait ressentie l’Espagne de l’heureuse issue d’un siége si long-temps traversé, et les complications nouvelles qu’ou-