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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/60

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REVUE DES DEUX MONDES.

tant un peu haut, ne trouvons-nous pas les deux Marguerite de Valois, qui possédaient à un degré assez supérieur, ce nous semble, le don de voir les choses d’un œil sûr à travers les voiles ? Au siècle suivant, n’est-il pas une femme qu’il suffit de nommer pour désigner le plus agréable mélange de l’observation judicieuse et de la bonne moquerie ? Mme de Sévigné n’est-elle pas là ? Serait-elle absente, ce qu’à Dieu ne plaise, nous ne serions pas à court d’exemples. Ce XVIIe siècle, où la société se forme et se développe d’une manière si admirable, nous offre chez les femmes une tendance manifeste à moraliser, qui, pour ne pas s’être traduite en œuvres spéciales, n’est pas moins facile à constater. Autour de Larochefoucauld, ne voyons-nous pas un groupe de femmes spirituelles et sensées, parmi lesquelles Mme de Sablé et Mme de La Fayette, qui moralisent à plaisir, et jouent, pour ainsi dire, aux maximes ? La Bruyère était venu, et son livre, qui, selon le mot de M. de Malézieu, devait lui attirer tant de lecteurs et tant d’ennemis, avait sa place marquée sur la table de toilette des grandes dames, qui le lisaient avec une sorte de passion, et dont quelques-unes se firent peindre un La Bruyère à la main. N’oublions pas les portraits de Mlle Scudéry, ni les Stances morales de Mme Deshoulières. La vocation des femmes, comme moralistes, perçait alors de toutes parts. Il est cependant une époque avant la nôtre, où cette tendance des esprits féminins fut plus éclatante encore : c’est le XVIIIe siècle, le siècle de la société par excellence, où la conversation, qui est l’école des moralistes, atteignit au sommet de l’art, d’où elle est redescendue. Jamais les femmes n’avaient déployé un tel esprit d’observation, de finesse et d’à-propos, et il faudrait les admirer sans réserve, toutes ces grandes dames, qui possédaient si bien la justesse du coup d’œil, la verve de la raillerie, l’originalité brillante de l’expression, s’il ne fallait blâmer cette légèreté de mœurs qui s’affichait sans scrupule, cet épicuréisme dont on faisait parade, et qui se résume assez bien par ce mot de Mme de Lambert à son fils : « Mon enfant, ne faites jamais de folies, excepté quand elles vous feront grand plaisir. » Quel dommage pourtant qu’il ne reste rien de ces conversations si animées et si entraînantes où brillaient les plus beaux noms de France, Mme la maréchale de Luxembourg, Mme la princesse d’Hénin, Mme la princesse de Beauvau, Mme de Bouillon ! Quel dommage que tant d’éloquence parlée s’évanouisse, quand il reste tant de pauvretés écrites ! Ceci ne s’applique pas aux échantillons écrits en matière de morale que des femmes du XVIIIe siècle nous ont laissés, et qui sont remarquables à plus d’un titre.