Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/604

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
598
REVUE DES DEUX MONDES.

tard, les Bourbons d’Espagne la ressaisirent par un audacieux coup de main de leur ministre Alberoni. Ils durent bientôt la restituer pour se conformer aux injonctions de la conférence de Londres qui la destinait au duc de Savoie en échange de la Sicile, acquise par ce prince à la paix d’Utrecht.

En 1720, Victor-Amédée reçut la Sardaigne des mains de l’Espagne, telle qu’elle avait été transmise à cette puissance par les rois d’Aragon. C’était une province du XIVe siècle qu’on ajoutait à ses états : les institutions, les coutumes, les croyances, y dataient encore de la retraite des Pisans. En se soumettant aux prescriptions du traité de Londres, le duc de Savoie n’accepta qu’avec répugnance la compensation qui lui était offerte en échange de la Sicile : il faisait peu de cas d’un excellent poste maritime, et eût préféré s’agrandir du côté du Milanais. Résigné néanmoins à prendre possession de la Sardaigne, il trouva bon d’y installer un vice-roi, comme avait fait la cour de Madrid, et confirma négligemment les lois et l’administration qu’il trouva établies. De leur côté, les insulaires passèrent sans émotion sous un nouveau sceptre, et s’aperçurent à peine d’un évènement qui semblait n’avoir amené qu’un changement de vice-roi.

Il y avait bien cependant quelque portée et quelque avenir dans cet évènement. La Sardaigne, sous la domination de l’Espagne, n’était qu’une province ; elle devenait un royaume par le traité de Londres. Son rôle politique grandissait à cet échange, car la Savoie en devait faire plus de compte que la vaste monarchie espagnole. D’ailleurs, le titre de rois de Sardaigne, que les descendans de Bérold de Saxe et de Wittikind-le-Grand recevaient avec la possession de cette île, prouvait qu’elle cessait d’être regardée comme une de ces annexes vagues dont la diplomatie dispose à son gré pour régler sa balance, et qu’en attachant à sa possession la dignité royale, on voulait qu’elle devînt en quelque sorte un domaine inaliénable. C’était un majorat que l’Europe constituait en faveur de la maison de Savoie.

À l’indolent Victor-Amédée succéda, en 1730, Charles-Emmanuel. Celui-ci eut le rare bonheur d’avoir pour premier ministre un homme vraiment supérieur, le comte Bogino, et le bonheur non moins rare d’accorder à un tel conseiller une confiance absolue. Éclairé sur l’importance de l’acquisition faite par sa famille, le nouveau roi s’en occupa avec une prédilection marquée. Les nombreux priviléges accordés par les rois d’Aragon avaient créé de grandes inégalités dans la répartition des charges, et cet état de choses réclamait assurément