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rut avec autant de constance, de patience et de volonté qu’aucun autre homme que l’on ait vu. Car, sortant de la Conciergerie comme joyeux et allègre, il prononça ces mots en italien : Allons dit-il, allons allègrement mourir en philosophe. » Il ne demanda pas grace, et marcha au supplice avec une résolution mêlée d’un peu de jactance. Faisons taire notre indignation, et laissons parler ceux qui virent de leurs yeux et nous racontent en détail cette horrible tragédie :

Procès-verbal tiré des archives du Capitole.

« Il faisoit semblant de mourir fort constamment en philosophe, comme il se disoit, et en homme qui n’appréhendoit rien après la mort, d’autant qu’il ne croyoit point l’immortalité de l’âme. Le bon père religieux qui l’assistoit estimoit, en lui montrant le crucifix et lui représentant les sacrés mystères de l’incarnation et passion admirable de notre Seigneur, l’esmouvoir à ce qu’il se recognûst. Mais ce tigre enragé et opiniastré en ses faulses maximes mesprisoit tout, et ne le voulut jamais regarder, ains accouroit à telle mort ainsy qu’à sa dernière fin, s’imaginant que ce debvoit estre le remède de tous ses maulx, après laquelle il n’auroit plus rien à craindre ny à souffrir ; il mourut doncques en athée ; aussy portoit-il ung cartel sur ses espaules, où ces mots estoient escrits : Athée et blasphémateur du nom de Dieu. »

Mémoires manuscrits de Malenfant.

« Alors celui-ci (Vanini), mettant bas le manteau de piété dont il avoit voulu se servir pour se dérober aux coups de la justice, se montra tel qu’il estoit, disant d’abord qu’il mouroit en philosophe, et rejetant comme inutiles tous les secours de la religion. Je fis un effort sur moy-même pour voir s’il finiroit comme il l’avoit annoncé, et suivis le cours accoutumé qu’il fit, et fus témoin de sa mort. Il est vray qu’il ne voulut escouter le père ***, qui l’assistoit, ny faire œuvre de foy, faisant entendre des blasphèmes qui faisoient frissonner les plus intrépides, et qui arrachèrent de mon cœur tout l’intérêt que je portois à un homme si éloquent. Mais il n’y avoit pas courage en sa manière, mais rage et crainte. Jamais coupable ne parut plus abattu, plus furieux que le dict Lucilio. Sa bouche escumoit, ses yeux sembloient charbons ardens, et ne pouvoit se soutenir, bien que par momens parlât de son courage. En vérité, si c’est là mourir en philosophe, comme il le disoit, c’est mourir en désespéré. »

Suite du récit de Gramond.

« Je l’ai vu, quand sur la charrette on le conduisoit au gibet, se moquant du franciscain qui s’efforçoit de fléchir la férocité de cette ame obstinée… Il