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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

Chez ceux-là même qui se présentent dans l’histoire avec un profil fortement dessiné, il est facile de constater l’empire des tendances les plus diverses, souvent les plus opposées. N’avons-nous pas montré Richelieu se glissant aux affaires à force de souplesse pour élever l’autorité à une hauteur où personne avant lui ne l’avait encore placée ? Ne venons-nous pas de le voir faire en quelque sorte deux parts de lui-même, en se servant de ses défauts pour conquérir le pouvoir, et de ses qualités pour l’exercer ?

L’histoire ne portera pas sur son œuvre un autre jugement que sur sa personne. Elle dira que les moyens employés pour atteindre le but manquèrent de modération et de mesure, mais que ce but fut grand et légitime en soi ; elle constatera que la pensée politique de Richelieu était supérieure à celle des conspirateurs de cour, de toute la hauteur qui l’élevait lui-même au-dessus de ses ennemis. Il mourut dans la pleine possession de sa gloire, sans que sa mort compromît son ouvrage, chose rare pour les ministres qui ont long-temps gouverné. Il lui fut donné de désigner son successeur, et celui-ci trouva devant lui les mêmes intérêts et les mêmes adversaires, affaiblis par les coups que le cardinal leur avait portés. Rien de considérable ne se fit en Europe pendant toute une génération que Richelieu ne l’eût prévu ou préparé ; et jusqu’à la paix des Pyrénées, où le génie de l’Espagne fléchit enfin sous celui de la France, Anne d’Autriche continua la politique du ministre dont elle était l’ennemie personnelle. Louis XIV la recueillit comme un précieux héritage, et son étoile ne pâlit pas, tant qu’il lui resta fidèle.


L. de Carné.