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complète, mais elle vous réussira. Que l’art soit avili par vos tableaux sans nom, que le cœur se gâte devant vos peintures complaisantes du vice, qu’importe ? Un peu de sensiblerie sociale jetée sur le tout suffira pour attendrir les plus sévères. Tout le secret est de dénouer dans le bureau d’une caisse d’épargne le drame qui commence dans un mauvais lieu. Faites aboutir Faublas à Vincent de Paule, et la gageure sera gagnée.

Il y a là, au surplus, toute une méthode de composition qui voudrait être considérée à part ; il y a là un genre véritable qui a besoin d’être saisi isolément, et dont le succès très réel mérite d’être spécialement étudié. On y reviendra quelque jour à loisir. Aujourd’hui nous voulons seulement toucher quelques mots de certains romans nouveaux qui se rapportent à des noms depuis long-temps accueillis par la vogue, et que la vogue aujourd’hui délaisse. Naguère encore, quand on interrogeait les échos de la publicité populaire, quand çà et là, par curiosité, on s’enquérait des succès les plus récens de la littérature bruyante du jour, c’était de l’auteur des Mémoires du Diable ou de l’auteur du Père Goriot qu’il était aussitôt question. Ces deux écrivains régnaient en maîtres sur le trône du feuilleton, et se partageaient presque exclusivement le privilége de la réclame complaisante. Devenus les fournisseurs de profession, les pourvoyeurs en titre auxquels le bas de chaque journal en renom devait forcément avoir recours, M. de Balzac et M. Frédéric Soulié ne reculèrent pas devant cette tâche laborieuse. Ils laissèrent leur nom servir d’enseigne à toutes les entreprises de librairie, à toutes les spéculations de la presse quotidienne. Il fallait s’étourdir singulièrement sur le résultat pour accepter ainsi l’étrange monopole qui donnait le droit et imposait en même temps le devoir exclusif d’amuser, à heure fixe et sans répit, les loisirs d’un public blasé. Chacun s’en tira à sa manière, chacun déploya dans tout leur jeu son agilité et ses ressources. On l’avouera, c’était une lutte insensée. À un pareil métier, les natures les plus puissantes, les mieux douées se fussent bientôt perdues : qu’aurait pensé Rome d’un gladiateur qui tous les jours eût voulu descendre dans le cirque ? L’athlète le plus robuste succomberait à des combats toujours renouvelés, sans intervalle et sans repos. Le public lui-même devait bientôt se lasser de voir ainsi les mêmes joûteurs occuper incessamment l’arène. Qu’est-il arrivé en effet ? Peu à peu, cette puissance d’émotion grossière, mais saisissante, qu’on avait reconnue dans les Deux Cadavres, ce don de peindre avec relief les caractères et de mettre à vif les nuances qui avait plu dans Eugénie Grandet, en un mot, les qualités inhérentes à ces deux talens s’effacèrent, pour ne plus reparaître qu’à de très rares intervalles. Partout la précipitation laissa son empreinte funeste. Le style, qui hier était à peine suffisant, devint incessamment incorrect ; péniblement surchargé, il déguisa l’extrême négligence sous des airs maladroits d’affectation. Le fond, ainsi qu’il était naturel, ne répondit que trop à cette forme hâtive et plus prétentieuse à mesure qu’elle était moins soignée ; au lieu de fables vraiment dramatiques, où les évènemens servis-