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WHITE-CHAPEL.

La population de Bethnal-Green se compose principalement de tisserands irlandais, auxquels se joignent les mendians et les vagabonds de la même nation. Les maisons de ce district sont dans un état de délabrement dont celles de Spitalfields même ne sauraient donner une idée. On les construit souvent en planches mal jointes, ce qui leur donne bientôt l’aspect des plus dégoûtantes étables. Lorsque ces masures ont été condamnées, à cause du danger qu’il y aurait à les habiter, et que les locataires les ont désertées, il se trouve toujours, avant qu’on les abatte, quelque famille irlandaise qui, ne pouvant payer le prix d’un loyer, vient, comme les animaux immondes, y chercher un abri. Dans un quartier où les rues, en temps de pluie, forment un marais, la fièvre ne tarde pas à s’exhaler de ces ruines empestées.

Ainsi, la population de Spitalfields et de Bethnal-Green a des habitudes sédentaires, c’est le travail en famille, la moins immorale peut-être, mais aussi la plus misérable des industries. La population de White-Chapel est au contraire essentiellement mobile et flottante ; elle se compose en majorité de journaliers, de brocanteurs et de marchands ambulans. Je comparerais ce district à notre quartier Mouffetard, si je croyais que l’on pût, sans faire injure aux plus viles agglomérations d’hommes, assimiler quelque chose à White-Chapel.

White-Chapel confine à la Cité. Ce pâté de rues étroites, d’allées tortueuses et de cours sombres, qui comprend huit mille maisons, a pour limites au nord Spitalfields et Bethnal-Green, dont il se détache, à la hauteur de Wentworth-Street, et, du côté du sud, la Tour de Londres ainsi que les docks. Le chemin de Blackwall le traverse dans toute sa largeur. Du haut des arcades, sur lesquelles la voie de fer est portée, la vue plonge à loisir dans les secrets de cette misère. On aperçoit des femmes hâves qui se montrent à demi nues aux fenêtres, des enfans blêmes qui se vautrent dans la fange des cours avec les porcs, inséparables compagnons des familles irlandaises, des haillons suspendus au-dessus des rues comme pour intercepter la lumière ainsi que la chaleur, çà et là des tas de briques et d’immondices dans les espaces libres, partout des mares fétides qui attestent l’absence de toute règle pour l’écoulement des eaux. Voilà le spectacle que présente White-Chapel, vu à vol d’oiseau. Que serait-ce si l’on pouvait, par une fantaisie qui n’aurait rien cette fois de diabolique, enlever les toits des maisons et compter les gémissemens qui s’exhalent de là vers le ciel !