Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 4.djvu/960

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
954
REVUE DES DEUX MONDES.

qu’on ne comprendrait les marches et contre-marches d’une armée quand on ignorerait la manœuvre qu’elle exécute. Nous n’avions guère jusqu’ici que de vagues et inexactes notions sur les Slaves. Nous ferons connaître, d’après M. Mickiewicz, leur génie, leurs institutions, et les influences qui ont agi sur eux. Nous interrogerons même avec lui l’époque primitive ; cette étude nous donnera de précieuses lumières. Il est resté jusqu’à ce jour de nombreuses coutumes de ces temps anciens, et le caractère national, malgré tout ce qui l’a altéré, est au fond demeuré le même, surtout chez le peuple. Maintenant les Slaves, après avoir imité l’Europe et l’Asie, semblent vouloir redevenir eux-mêmes. Aussi étudient-ils avec passion leurs origines, et le zèle qu’ils mettent à ces recherches montre assez qu’elles cachent pour eux quelque puissant intérêt patriotique. Une fois que nous connaîtrons l’esprit qui anime les Slaves et les idées qui les gouvernent, nous serons en état de juger ce qui se passe aujourd’hui parmi eux. Leurs tendances nous éclaireront sur la mission qu’ils ont reçue, et nous pourrons entrevoir l’avenir que la Providence leur réserve.

Partout où ils sont soumis à une race étrangère, en Autriche, en Turquie, ils finiront sans doute par s’affranchir. Il est probable aussi que les Russes s’étendront encore en Asie. Mais la Pologne se relèvera-t-elle ? la Russie parviendra-t-elle à dominer en Europe ? sera-t-elle toujours elle-même courbée sous le despotisme des tsars ? ou bien, comme plusieurs raisons portent à le présumer, tandis que l’Occident se transforme, se prépare-t-il aussi parmi les Slaves une révolution pareille qui ferait d’eux les auxiliaires de la liberté ? Nous examinerons ces hautes questions, et nous chercherons à y répondre.

I. — ÉPOQUE PRIMITIVE.

L’instinct mystérieux qui enseigne aux oiseaux les routes de l’air et guide les peuples aux pays qui leur sont préparés conduisit, à une époque ignorée, bien des siècles avant Jésus-Christ, les Slaves du fond de l’Asie aux plaines de l’Europe orientale. Ils se sont répandus plus loin : on retrouve leurs vestiges dans la Belgique, dans la Vendée, jusqu’en Angleterre ; mais, refoulés bientôt par les Celtes et les Germains, plus puissamment organisés, ils se sont concentrés autour des Krapaks. Au pied de ces monts se déroulent des plaines immenses que la charrue sillonne aisément. Le commerce n’est pas provoqué dans ces contrées par des mers ou des fleuves faciles ; elles attendaient un peuple de laboureurs, et le Slave est né pour les soins de l’agriculture. Tandis que le Bédouin ne peut quitter sa vie errante, le Slave, devenu maître de vastes steppes, ne les a jamais traversées qu’avec un secret effroi, et il s’y est établi sans se faire nomade. Il n’aime pas davantage les villes ; il lui faut la campagne ; non pas la métairie, mais le village.

L’organisation primitive des Slaves offre un spectacle unique, qui ne peut s’expliquer que par leur religion. Ils adoraient un dieu suprême et rémuné-