Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/1001

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France, en vain croyaient-ils se défendre par la haine et la rancune contre l’influence de nos idées ; juillet dissipa les ténèbres où ils s’enfermaient : ils nous reconnurent dans cet éclair.

C’est à cette date que commence la littérature dont je veux parler. Comme ce premier mouvement, dans son ardeur spontanée, avait fait naître les plus légitimes ambitions, nous pouvons voir dès ces origines le but qu’on s’était proposé et ce qu’on a fait pour l’atteindre. Or, quand la jeunesse allemande, sous l’influence de la révolution de 1830, jeta les yeux sur son pays, quand elle chercha dans les lettres et la philosophie la vraie situation de l’esprit public, quand l’Allemagne enfin frappa sur son cœur et lui demanda ce qu’il sentait, que trouva-t-elle ? Les universités, qui avaient toujours gardé le dépôt des idées, présentaient, héla un affligeant spectacle, et qui répondait mal à tant de fougue. La philosophie, gouvernée par Hegel, qui allait mourir, s’était élevée à des hauteurs prodigieuses ; mais, sur ces sommets superbes, elle dédaignait le monde et en inspirait le mépris : si la doctrine hégélienne avait régné en France en 1830, dit quelque part M. Heine, la révolution était impossible. L’érudition, toujours patiente et scrupuleuse, avait perdu cette vie puissante qu’elle communiquait jadis à l’étude, et, dans toutes choses, elle était un obstacle plutôt qu’un secours. C’était une philologie savante dont le pédantisme étouffait l’amour et l’intelligence de l’art. C’était une jurisprudence très instruite du passé, mais sans cœur, sans énergie, sans dévouement : satisfaite de son érudition oisive, heureuse de savoir comment on était juste à Athènes ou à Rome, elle oubliait de surveiller le présent, elle oubliait de réclamer contre les tribunaux secrets, contre la violation des droits de la défense, contre ces procédures effrontées qui, de temps à autre, viennent frapper l’Allemagne de stupeur. Quant aux lettres, la gloire de Goethe ne suffisait pas à voiler les fautes de la poésie et de l’imagination, son dédain des choses d’ici-bas, son insouciance pour les malheurs de la patrie, son manque de charité et d’entrailles. Aussi, soit qu’on s’adressât aux écrivains, soit qu’on interrogeât le monde des universités, quel vide partout ! Une telle situation pouvait-elle satisfaire aux ardeurs nouvelles ? et comment cette Allemagne si docte, si grave, mais si compassée dans sa froide science, eût-elle continué long-temps son œuvre inutile, au moment où tant d’espérances, où tant d’ambitions venaient de se déclarer si hautement ? Le spiritualisme, en se séparant des généreux soucis du présent, avait autorisé une réaction nécessaire, car cette haute doctrine qui éveille ordinairement les ames avait fini par les engourdir. Sans doute il faut déplorer