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SIMPLES ESSAIS D’HISTOIRE LITTÉRAIRE.

L’illustration, en bonne marchande, ne pouvait manquer aux Mystères de Paris, elle est amie du succès. En livrant son œuvre au complaisant crayon, M. Sue ne se doutait point qu’il venait de trouver son plus dangereux critique. Le peintre ne peut pas avoir recours aux mille précautions oratoires de l’écrivain, et il présente son personnage ou sa scène d’emblée. Le procédé n’a pas été favorable aux créations de M. Sue ; ce qui leur convenait le mieux, c’était le demi-jour du livre ; les arracher de leur demi-obscurité propice, pour les exposer dans un cadre au grand jour, c’était les trahir ; la trahison sera plus complète encore, si on les traduisait devant la rampe. Dès qu’on verrait, en chair et en os, se mouvoir, parler, agir, toute cette lèpre humaine, le dégoût ne serait-il pas universel ? L’illustration a commencé la preuve, le théâtre pourrait bien l’achever. Le roman de M. Sue a tout à craindre de ses deux alliés.

De même que tout bonheur a son côté triste, on dit que toute calamité a sa consolation. Les Mystères de Paris apportent la leur : du coup, ils ont blessé à mort le roman-feuilleton ; une maladie aiguë a tué une maladie chronique. Les anciens coryphées du genre, les triomphateurs d’hier, ont perdu contenance, et, comme des gens troublés, ils cherchent au hasard et ne trouvent point. La détresse est si grande, qu’ils ont mis toute vanité à part, et se sont cotisés bravement pour une concurrence impossible ; on ne copie pas le succès ; les Mystères de la Province sont tombés à plat. Le roman pseudo-philanthrope est le dernier mot du roman-feuilleton, qui va s’éteindre sans crise, sans douleur, parce qu’il éprouvera une difficulté de vivre. Cette maladie littéraire que nous avons essayé de décrire emporte le malade. Au point où on en est venu, il est impossible que le public, dont on s’est joué si effrontément, n’ouvre pas les yeux. Il n’y a qu’un dénouement possible à cette comédie, et c’est le dénouement qu’a trouvé Molière. Pour qui sait voir, le moment est donc favorable. Un mauvais règne qui finit est un beau jour, et le lendemain est comme une renaissance. La littérature peut se relever. Un retour franc au goût et à la morale, qu’on y songe, il y a là une bonne place à prendre et de la vraie gloire à gagner.


Paulin Lymairac.