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REVUE. — CHRONIQUE.

fusion et le désordre qu’il était si naturel d’en attendre. Le seul représentant possible d’un pouvoir régulier dans cette contrée, le chef de la famille Schaab, attend à Constantinople, sous la surveillance de la police ottomane et de toutes les polices européennes, qu’il convienne à la France de reprendre dans les affaires d’Orient le fil brisé de ses plus vieilles traditions. Étrangère désormais aux évènemens de la Syrie, celle-ci voit chaque jour disparaître son influence avec le souvenir de ses services : on affirme même qu’il a été question dans le Liban de réclamer le patronage d’une autre puissance catholique, celui de l’Autriche, en remplacement du protectorat religieux que les glorieuses capitulations de nos rois nous ont légué comme un droit et comme un devoir. Ceci serait plus sérieux que l’affaire de Taïti et descendrait encore plus avant au cœur de la nation mais nous croyons fermement qu’un tel bruit est sans fondement, et que le gouvernement français n’ajoutera pas au tort d’avoir contribué à donner à ce malheureux pays un mode détestable d’administration, celui de se désintéresser dans ses destinées. Il est difficile que la session se passe sans que l’attention de la chambre et du pays soit appelée sur ce grave intérêt.

Le retour de M. Adolphe Barrot de Haïti a reporté la pensée publique sur le sort des malheureux colons de Saint-Domingue, et sur cette grande île, où la race noire, dans la plénitude de sa liberté politique, se trouve appelée à décider elle-même de son avenir parmi les nations. On sait qu’un traité négocié en 1838 avait réduit à 75 millions de francs la dette de 150 millions imposée à la république, dans l’intérêt des anciens propriétaires du sol, par l’acte d’émancipation de 1825. Ce traité avait soulevé au sein des deux chambres une importante question de droit public, celle de savoir si, en stipulant pour les colons sans leur assentiment, le gouvernement français n’avait pas engagé sa garantie pour l’exécution des conventions ainsi modifiées. Dans la session de 1840, les deux chambres repoussèrent cette prétention par des motifs péremptoires. Toutefois, la commission de la chambre des députés déclara qu’à ses yeux le gouvernement avait au moins, en agissant ainsi, contracté l’engagement moral de contraindre par toutes les voies légitimes la république d’Haïti à l’exécution d’une transaction instamment sollicité par celle-ci. À partir de cette époque, les annuités de la dette haïtienne furent régulièrement acquittées, à Paris, au moyen de prélèvemens successifs sur l’ancien et célèbre trésor du roi Christophe, la seule ressource effective de ce gouvernement aux abois. Depuis, une révolution est venue rendre la situation de ce pays beaucoup plus périlleuse et tarir les dernières sources de son antique prospérité. Diminution alarmante des revenus, de la population et du travail, retour à l’état sauvage des riches vallées qui fournissaient du sucre à toute la France et à une partie de l’Europe, lutte des noirs et des hommes de couleur, haine aveugle de la race blanche, refus persistant d’accepter son concours et ses capitaux pour vivifier ce magnifique territoire, devenu stérile parce qu’il reste inculte, ce sont là des symptômes redoutables et pour les destinées de la république et pour les intérêts financiers de nos malheureux colons.