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DU MOUVEMEMENT CATHOLIQUE.

attendu que le pape a mis à l’index les histoires protestantes de la papauté, sans valeur pour les érudits exacts, car il est arrivé que les auteurs allemands, comme M. Ranke, ont protesté contre les traductions. Il y a plus encore, et voici le fait que la Revue a déjà signalé : un auteur italien, M. Amari, publie à Palerme une histoire des vêpres siciliennes ; des écrivains catholiques en traduisent textuellement trois cents pages, mutilent le reste, substituent aux idées libérales de l’auteur des idées ultramontaines, et donnent la traduction au public, comme une œuvre personnelle qu’ils signent de leur nom. Parmi les livres originaux, relatifs à l’histoire de l’église, qui sont produits en France pendant ces dernières années, les travaux de MM. les abbés Receveur et Rohrbacher ont à peu près seuls mérité de prendre rang au nombre des livres sérieux, car on ne saurait accepter comme des ouvrages historiques la plupart de ces Vies des Saints qui encombrent les catalogues de la librairie religieuse. À part la Vie de sainte Élisabeth, de M. de Montalembert, la Vie de sainte Zite, de M. de Montreuil, et la Vie de saint Bernard, de M. l’abbé Ratisbonne, qui se recommandent par des qualités réelles, on ne trouve guère dans cette série que de pitoyables légendes, dignes, sous tous les rapports, de faire suite aux histoires du prince Fortunatus et des quatre fils Aymon. Telle est du reste la propension de certains esprits à tout croire, qu’on vient de publier une traduction de la Légende Dorée, que l’église elle-même avait depuis long-temps reléguée parmi les contes les plus apocryphes.

L’école ultramontaine a pour chefs naturels les jésuites : les disciples qui se sont placés sous leur invocation rappellent souvent la méthode et l’esprit de ces maîtres par des emportemens irréfléchis contre les plus nobles conquêtes des temps modernes, et l’insaisissable mobilité de leurs sympathies, qui s’accommodent également du régicide au nom de la liberté, de la tyrannie au nom de la religion.

Dans les temps anté-chrétiens, l’école ultramontaine se place au point de vue le plus absolu d’une casuistique intolérante. Les historiens de cette école en sont encore à maudire Julien l’Apostat, et même Jupiter ; les philosophes et les héros païens ne sont pour eux que des fous. Les docteurs du moyen-âge réclamaient en paradis une petite place pour Trajan ; M. l’abbé Carle, au contraire, l’un des organes les plus exagérés de l’ultramontanime, déclare qu’avant la religion chrétienne il n’y avait ni vertus, ni patriotisme, et que le courage de Régulus n’était qu’une rage fastueuse et concentrée. Il s’emporte contre Lucrèce, « qui, après avoir supporté les violences faites à son corps, après y avoir consenti peut-être, se tue pour faire oublier sa faiblesse par un crime ! » Saint Augustin était plus indulgent que M. Carle ; il a dit en parlant de Lucrèce : innocentem et castam Lucretiam. L’évêque chrétien blâme la femme païenne parce qu’elle se tue ; il ne la calomnie pas.

Dans l’histoire du moyen-âge, c’est encore toujours et partout, à propos de la puissance temporelle de l’église, du clergé, du pape, de l’inquisition, une exagération pareille, très souvent une ignorance singulière du passé et