Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
117
DU MOUVEMEMENT CATHOLIQUE.

lité de l’historien. Ainsi M. Lacordaire désavoue l’inquisition et ressuscite l’ordre de saint Dominique qui en a été l’un des principaux instrumens ; et dans un mémoire relatif aux frères prêcheurs, il repousse toute collaboration de ces moines aux œuvres du saint-office, en défiant qu’on trouve un texte qui les accuse. M. Lacordaire, s’il s’était donné le temps de chercher, aurait facilement trouvé des textes, car ils sont partout, dans les registres de l’inquisition de Toulouse, aux manuscrits de la Bibliothèque du roi, dans l’Histoire de l’église gallicane, du père Longueval, dans l’Histoire du Languedoc du bénédictin dom Vaissette, qu’on n’accusera certes pas de philosophisme, et même dans Quétif, l’annaliste de l’ordre dont M. Lacordaire porte l’habit.

Si les bruits du passé, échos lointains que nous entendons seulement aux heures recueillies de l’étude, troublent ainsi la sûreté de la critique historique, que sera-ce donc dans le tumulte des discordes contemporaines ? L’histoire tombera au niveau du dernier pamphlet. Entrons, pour en juger, avec M. l’abbé de Robiano dans les temps qui nous touchent, et parcourons la Continuation de l’histoire ecclésiastique de Berault Bercastel. Au début du quatrième volume, nous sommes en 1815. L’époque est grosse d’un avenir peu douteux. Des monstres à face humaine se répandent sur l’Europe armés des doctrines des droits de l’homme, et ces monstres sont représentés en France par le déiste et sensuel Louis XVIII, correspondant de Robespierre et de Marat, et ses ministres plus ou moins ineptes, qui ont refusé de rendre une existence légale aux jésuites, qu’on redemandait partout, aux jésuites, qui ont droit à la dictature de toutes philosophies, de toutes les sciences. Sous la direction de pareils hommes, on conçoit que le vaisseau de l’état ait eu grand’peine à faire sa route. Heureusement il se rencontra au fond de la Beauce un cultivateur qui fut envoyé par le ciel vers l’épicurien d’Hartwell. Un jour que Martin, c’est le nom du cultivateur, travaillait dans sa vigne, un inconnu, qu’on a su depuis être un ange, se présenta devant lui, et lui dit : — « Va trouver le roi et avertis-le de prendre garde. » — C’était le 15 janvier 1816. Martin, qui fut d’abord envoyé à Charenton par M. Decazes, vint ensuite aux Tuileries, et le roi lui dit : — Donnez-vous la peine de vous asseoir. — Martin répondit au roi : — Sire, vous êtes bien honnête, mais vous êtes trop bon. Les libéraux sont de méchantes gens, des impies, etc. — Et, à la suite de cette conversation, le déiste Louis XVIII pleura beaucoup, parce que Martin, ajoute M. de Robiano, lui avait révélé une chose très secrète, et dont-il n’avait pu avoir connaissance que par révélation : c’est que le prince avait eu autrefois, dans une chasse, la pensée de tuer Louis XVI[1]. D’après la version de Martin, dit l’historien ecclésiastique, il avait tout disposé pour le succès, il coucha même le roi en joue, mais une branche d’arbre qui l’arrêta, un seigneur qui vint à passer, firent manquer le coup. Louis VIII refusa de se rendre aux avis de Martin ; tant de noirceur ne pouvait rester impunie ; le duc de Berry tomba donc sous le cou-

  1. Pages 6-9 et 23.