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DU MOUVEMEMENT CATHOLIQUE.

nous répète que, sous les doctrines hautement enseignées et vivement défendues par M. Cousin, il se cache une doctrine occulte subversive de tout principe chrétien, une sorte d’athéisme jésuitique plus dangereux que l’athéisme avoué, enfin le panthéisme, puisqu’il faut l’appeler par son nom. Ici, la ruse devient transparente ; on a choisi le panthéisme, parce que, ainsi que le dit M. Maret, s’il est nettement formulé dans Schelling, dans Fichte, dans Hegel, il est dans l’école française indéterminé et vague. C’était habile, car une doctrine indéterminée et vague se trouve par cela même qu’elle n’est nulle part, et, en effet, on la trouve partout, même dans saint Anselme, dans Bossuet et dans Salomon, en torturant les phrases. On n’a fait, par là, que transporter dans la philosophie ce procédé d’interprétation littérale que l’on condamne dans le protestantisme ; on n’a fait qu’appliquer à la spéculation ces réquisitoires de tendance qu’on appliquait, il y a quinze ans, avec la même bonne foi, à la politique. Vous êtes panthéiste ! Par ce mot, on répond à tout. C’est absolument comme les jésuites qui disaient à Pascal : Vous êtes un tison d’enfer. Pascal, ne sachant que répondre, eut recours à Arnaud : Monsieur Arnaud, vous qui avez fait une logique, donnez-moi donc un argument pour prouver que je ne suis pas un tison d’enfer. — Arnaud resta court. Et comment démontrer en effet qu’un homme, un enfant d’Adam, n’est pas un tison d’enfer ? Ce n’est pas le panthéisme : c’est la philosophie elle-même qu’on poursuit. Pour être juste, il convient de remarquer néanmoins que, dans le clergé, les esprits sérieux se sont tenus en dehors de cette polémique irritante. À Lyon même, où les intrigues de la réaction ultramontaine sont des plus vives, M. l’abbé Pavy, doyen de la Faculté de théologie, ainsi que M. Noirot, professeur de philosophie au collége royal, ont protesté en toute occasion contre les attaques inconvenantes dont les sciences philosophiques sont chaque jour l’objet. M. Noirot, qui compte au premier rang des esprits distingués, a prouvé, par un enseignement dont l’Université s’honore à juste titre, qu’on peut servir la philosophie sans trahir les intérêts de la religion.

Dans tous les temps, les utopistes, en leur qualité de rêveurs, ont été les collatéraux des philosophes. Il n’en coûte pas plus en effet pour réformer le monde que pour l’expliquer, et de nos jours, où tant de gens tiennent à la disposition de l’humanité un paradis tout fait, le néo-catholicisme ne pouvait rester en arrière. Comme les philosophes, les utopistes ont cherché pour leurs rêves l’abri des traditions respectées, et ce n’est pas une des moindres bizarreries de cette époque que de voir les hommes dont les théories sociales sont le plus opposées invoquer avec un enthousiasme égal, en faveur de doctrines qui se combattent, une même doctrine religieuse. Cette fois encore nous rencontrons l’anarchie dans l’hérésie.

Les uns, pèlerins de Goritz, sont venus, sourians et joyeux, nous dire à chaque embarras, à chaque heure de trouble, comme si les peuples devaient payer pour les fautes des rois, que l’ange exterminateur avait tiré son épée contre la France, pour la punir d’une révolution généreuse ; que le choléra de