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la liberté et posé les bases d’un gouvernement légal et d’une administration régulière. » Il serait malaisé de mettre en regard deux jugemens plus franchement hostiles, et on peut comprendre maintenant, sans en approuver la forme brève et dure, le sens du reproche adressé par M. Bazin à ses prédécesseurs. Cet antagonisme radical n’a d’ailleurs rien que de fort logique et de fort naturel ; il trouve son principe dans la différence des situations et des points de départ. M. de Sainte-Aulaire, entraîné par le désir d’opposer aux prétentions réactionnaires du présent les résistances du passé, a négligé avec une entière bonne foi de s’appesantir sur la stérilité des efforts qu’avait tentés la magistrature. Il n’a considéré que le but auquel elle paraissait tendre, et il a cru voir là une sorte d’aspiration instinctive ou intelligente, peu importe, vers un régime constitutionnel : erreur capitale selon l’histoire, mais en parfaite harmonie avec les exigences libérales de la période des quinze ans. M. Bazin, au contraire, ainsi que nous l’avons remarqué, n’a pas eu à s’inquiéter du milieu dans lequel nous vivons aujourd’hui : il a pu se vouer, sans craindre le contrôle jaloux d’influences qui n’existent plus, au rôle d’un historien consciencieux, sachant bien qu’il n’avait pas à plaider la cause de telle ou telle coterie ; mais, cédant aux fâcheux enseignemens d’une conviction exclusive, il n’a envisagé que le résultat négatif, l’impuissance finale des tentatives parlementaires, et lorsqu’il a vu l’autorité dépouillée de tout son prestige, l’administration désorganisée, le gouvernement en péril, la France misérablement amoindrie aux yeux de l’étranger, sans que cette violente crise eût servi au bien-être légal ou à la liberté des peuples, il s’est dit que tout avait dû être mesquin dans les individus et pitoyable dans les choses, puisque la solution n’avait pas été meilleure. Le premier ne s’est donc préoccupé que du but idéal et il l’a exalté outre mesure, bien qu’il n’eût pas été atteint ; le second n’a songé qu’au dénouement matériel, et il l’a pris en pitié. La vérité des faits est entre ces deux sentimens extrêmes, et si M. de Sainte-Aulaire s’est grandement trompé en cherchant à assimiler le siècle de Louis XIV au nôtre, et la déclaration de 1648 à l’enfance d’un pacte constitutionnel, M. Bazin a été trop loin, à notre avis, en prétendant que cet édit royal n’avait aucune valeur réelle. Sans stipuler des garanties précises et partant efficaces, sans offrir la clarté absolue et la rigueur mathématique d’une constitution, sans entrer dans l’examen des droits et priviléges des hiérarchies sociales, il entravait la marche de la royauté et dépossédait en partie le chef de l’état au profit des corps judiciaires. La cour sentit si bien le danger des obstacles accumulés sous ses pas, qu’elle hasarda tout pour s’en affranchir ; elle s’enfuit brusquement de Paris, et la guerre civile fut déclarée.

M. Bazin ne s’émeut pas plus au bruit de cette retentissante prise d’armes qu’il ne s’était ému à la lecture de la déclaration du 24 octobre 1648. Il lui suffit que la Fronde ait vu cette fois ses rangs se grossir d’une foule de grands seigneurs et ait ainsi perdu sa physionomie bourgeoise et populaire, pour en proclamer l’impuissance et en nier la gravité. Dès-lors il se sent tout-à-fait à l’aise, et, convaincu de l’insuffisance des évènemens et de celle des héros des