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CRITIQUE HISTORIQUE.

marches d’un trône à celles d’une femme et d’un enfant mal abrités sous une tutelle sans vigueur. Avec un pouvoir énergique et décidé à ne pas faiblir, la fronde eût été impossible, car il n’y avait en elle rien de ce qui passionne les masses et les fait déborder. Mais de ce qu’elle avait pauvrement commencé, s’ensuivait-il nécessairement que la fronde ne dût être considérée que comme une misérable échauffourée ? On s’émeut pour une question de tailles ou pour la mise en liberté d’un parlementaire obscur ; puis, lorsqu’on s’est levé, qu’on s’est compté, qu’on a vu reculer l’autorité compromise, on se hâte de dépasser le but, on s’abandonne aux entraînemens du triomphe, et peu à peu les incidens s’aggravent, se pressent, s’accumulent ; les hommes d’action accourent ; les théories s’enhardissent et veulent descendre à l’application, et dans ce brutal pêle-mêle de faits inattendus et de personnages nouveaux, la forme du gouvernement peut changer et les dynasties peuvent périr. Que fût-il advenu de la fronde si l’aristocratie avait sympathisé avec la magistrature, s’il se fût trouvé à Paris un autre prévôt des marchands à la hauteur du tribun de 1356, pour diriger la bourgeoisie, et un autre roi de Navarre pour se glisser jusqu’au trône à force d’éloquence et de ruse ? La déclaration de 1648 pouvait à la rigueur passer pour l’avant-propos d’une constitution et la promesse d’un avenir politiquement meilleur ; mais, au point de vue de l’époque, était-elle réellement un progrès ? La France aurait-elle gagné à l’intronisation de la magistrature et à l’abaissement du despotisme royal ? Il est permis d’en douter. Quels que soient les inconvéniens du dogme qui fait reposer les destinées de toute une nation sur la tête d’un seul homme, n’était-ce pas une amélioration, à l’époque de la fronde, que la substitution de la monarchie absolue à l’anarchie aristocratique ? Si la fronde eût vaincu et qu’elle eût produit un gouvernement mixte, Louis XIV aurait-il pu absorber la gentilhommerie d’autrefois dans les riches carrousels et les fastueuses réceptions de Versailles ? N’eût-il pas rencontré incessamment sous ses pas l’action décentralisatrice des parlemens de province se débattant avec obstination contre la tendance à l’unité administrative et politique, qui est restée le plus beau titre de gloire du grand roi ? Ne se serait-il pas épuisé dans une lutte perpétuelle avec le parlement de Paris, qui ne représentait rien autre chose que lui-même, et la royauté n’aurait-elle pas fait naufrage sans profit pour la nation ? L’esprit public, qui est la condition nécessaire du gouvernement constitutionnel, était-il créé ? La bourgeoisie, qui en est l’élément principal, était-elle assez nombreuse, assez riche, assez éclairée, pour en soutenir le poids ? Au XVIIe siècle, une révolution qui aurait dépossédé la royauté ne pouvait servir que des intérêts de caste, et, tout en désavouant la dédaigneuse incrédulité de M. Bazin, tout en réduisant à leur juste valeur les assertions partiales de M. de Sainte-Aulaire, on peut voir dans l’issue de la fronde un résultat heureux pour l’agrandissement territorial, l’unité politique, et peut-être aussi pour l’égalité sociale de notre temps.

Ladet.