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d’un ton plein d’émotion et de pathétique. La voix sourde et sépulcrale du jeune basso convient, du reste, assez à ce rôle de fantôme. On dirait parfois le bourdon d’une cloche funèbre, mais cela dans ses bons momens, et lorsqu’il parvient à se garder de certaines intonations nasillardes qui rappellent trop le basson, ou mieux encore le serpent du sacristain. Je ne terminerai pas sans indiquer, à la dernière scène, un excellent morceau, d’un style large et fort distingué :

T’arresta ! i tuoi rimorsi…

Malheureusement ce morceau, comme tout dernier final d’opéra italien, s’exécute au bruit des banquettes qui tombent et des portes qui s’ouvrent. Au fait, pourquoi plaindrions-nous M. Persiani ? le dénouement de Don Juan n’a-t-il pas le même sort, et ne voyons-nous pas tous les ans la statue du commandeur proférer ses sublimes menaces en présence de gens en désordre, tout empaquetés déjà de fourrures et de manteaux, et qui ressemblent plus à une cohue prête à s’embarquer sur le bateau à vapeur qu’au public ordinaire de Rossini, de Mozart et de Bellini ? — Maintenant, si de la musique du Fantasma nous passons à l’exécution, nous dirons que jamais peut-être on n’entendit rien d’aussi parfait au Théâtre-Italien. Jamais la Persiani ne chanta de la sorte, et jusqu’ici, bien que nous l’entendions depuis quatre ans, nous ne nous doutions pas de quels prodiges elle était capable. D’abord sa voix a énormément gagné, elle est devenue presque pleine, presque mœlleuse, et puis c’est une faculté qu’on peut appeler unique de dire sur les notes les plus élevées ; ainsi, presque tout son récitatif du Fantasma est écrit entre le du milieu et le la au-dessus de la ligne. Je le répète, jamais la Sontag ni Mme Damoreau, les coryphées par excellence de ce genre coquet et orné, n’ont rien fait, dans leurs caprices les plus brillans, qui puisse donner une idée même éloignée des traits qu’elle débite et multiplie avec une incroyable aisance. Pour Ronconi, on sait notre opinion sur ce virtuose, le plus grand chanteur, selon nous, qui existe aujourd’hui en Europe. Quelle admirable intelligence dramatique ! et dans son chant quelle énergie, quelle passion, quelle anima, comme disent les Italiens ! Cette dernière qualité surtout est chez lui développée à l’extrême, et je n’en veux d’autre preuve que cette rentrée dans la cabalette de son premier morceau du Fantasma, qu’il enlève de manière à faire tressaillir la salle. Rien de plus entraînant en effet, de plus électrique, que ce rinforzando sur la même note au moment de reprendre la phrase. Du reste, cette énergie lui vient de sa nature, qui, sous des apparences grêles et délicates, cache une complexion de fer. Nulle fatigue ne l’épuise ; nul excès de travail ne l’abat. Ainsi l’autre samedi, après avoir chanté ces trois actes écrasans du Fantasma, il arrivait chez Mme la duchesse d’Albuféra et convertissait à l’enthousiasme les plus prévenus contre lui, et le nombre en est grand encore. Vous rencontrerez des gens de par le monde qui vous diront que la voix de Ronconi manque de