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LES FEMMES ILLUSTRES DU xviie SIÈCLE.

mais commandée, quel genre d’instruction, je vous prie, pourra paraître trop relevé pour elles ? Encore une fois, ou la femme n’est pas faite pour être la compagne de l’homme, ou c’est une contradiction inique et absurde de lui interdire les connaissances qui lui permettent d’entrer en commerce spirituel avec celui dont elle doit partager la destinée, comprendre au moins les travaux, sentir les luttes et les souffrances pour les soulager. Laissons-la donc cultiver son esprit et son ame par toute sorte de belles connaissances et de nobles études, pourvu que soit inviolablement gardée la loi suprême de son sexe, la pudeur qui fait la grace.

La femme est un être domestique[1], comme l’homme est un personnage public. Celui-ci, né pour l’action, agit encore en écrivant ; il peut poursuivre une carrière publique avec sa plume aussi bien qu’avec la parole ou avec l’épée. Un homme sérieux n’écrit que par nécessité et parce qu’autrement il ne peut atteindre son but. Cela est si vrai, qu’il n’écrit bien qu’à cette condition ; et ce n’est pas une remarque de petite conséquence, que les plus grands écrivains n’ont pas été des auteurs de profession. Descartes, Pascal et Bossuet sont-ils des gens de lettres ? Pas le moins du monde. Ils n’écrivent point pour faire montre de leur esprit, mais pour défendre une noble cause confiée à leur courage et à leur génie. Ôtez la persécution odieuse exercée sur Port-Royal, et vous n’auriez jamais eu les Provinciales. Ce n’était pas là pour leur auteur un divertissement, une parade, un tournoi oratoire ; c’était une lutte sérieuse et tragique, pleine d’exils et de lettres de cachet, derrière laquelle on entrevoyait la Bastille de M. de Saci[2] ou le donjon de Vincennes de M. de Saint-Cyran, avec les interrogatoires de Lescot et de Laubardemont[3], ou la fuite du grand Arnauld et son dernier soupir exhalé sur la terre étrangère. Pascal combattait dans les Provinciales pour la morale éternelle, comme Démosthène avait combattu deux mille ans auparavant à la tribune d’Athènes pour la liberté de sa patrie, comme Bossuet le faisait encore dans la chaire chrétienne pour l’autorité de la foi, et Descartes, dans sa retraite de Hollande, pour l’indépendance de la pensée et le bill des droits

  1. Sur le vrai rôle de la femme, il est impossible de rien trouver de plus vrai et de plus charmant que le cinquième livre de l’Émile. En tout, Rousseau a mille fois mieux compris l’éducation de la femme que celle de l’homme, et ce qu’il a écrit sur ce grand sujet est aujourd’hui beaucoup trop négligé.
  2. Mémoires de Fontaine.
  3. Recueil de plusieurs pièces pour servir à l’histoire de Port-Royal, Utrecht, 1740.